DESIGNERbyBELLU - Robert Opron, un esprit éclairé
Il a été un maillon essentiel dans l’industrie automobile française, achevant la révolution de Citroën et entreprenant celle de Renault.
Quand on débute dans le journalisme, il faut être prêt à accepter toutes les missions. Il faut savoir que l’on n’entre pas dans le monde du design en passant forcément par un studio californien ou par les ateliers de Bertone. J’en ai fait l’expérience : l’une de mes premières interviews m’envoie sur la « colline inspirée » où se trouve le Centre de Style de Renault, au cœur du Centre Technique de la marque à Rueil-Malmaison.
Objet de la visite : la Renault 9. Du très lourd. Dans la nébuleuse des machines à rouler les plus désolantes, la Renault 9 se trouve au pinacle. Sa pathétique banalité n’intéresse même pas, aujourd’hui, les amateurs de qui ne sont pourtant pas regardants et qui accumulent impunément les plaisirs coupables.
À l’époque, le dossier de presse de la Renault 9 mettait l’accent sur une seule singularité, le siège « monotrace » qui se déplaçait sur un rail central. Pas facile de faire rêver le lecteur avec une glissière. Qu’allait donc pouvoir raconter le patron du Centre de Style sur le sujet ? Je supposais qu’il allait expliquer que la Renault 9 avait une destinée internationale, qu’elle devait plaire aussi bien au Texan sympathisant de la NRA qu’au Français qui écoute des cassettes de Michel Sardou ; il fallait donc qu’elle soit aussi anonyme qu’une Toyota Corolla.
Mais en cet après-midi pluvieux de septembre 1981, je découvre que le patron du Centre de Style vaut beaucoup mieux que les sermons soporifiques du marketing. Robert Opron est un esprit brillant.
Né en 1932 à Amiens, Robert Opron étudie à l’école des Beaux-Arts de sa ville natale avant de gagner la capitale pour poursuivre ses études artistiques. Il sort des Beaux-Arts de Paris avec un diplôme d’architecture et il est aussitôt sollicité par la Compagnie Nationale des Sucreries de Ham, dans la Somme, pour dessiner un nouveau bâtiment. Le hasard le mène chez Nord Aviation où il dessine des cockpits et toutes sortes de composants techniques. Mais le rêve secret de Robert Opron, c’est de dessiner des voitures ! Il est engagé chez Simca en 1958. Les premiers travaux qu’on lui confie sont modestes : un logo, des enjoliveurs…
Jusqu’au jour où le lui propose de dessiner « la voiture de l’avenir ». Robert Opron se prend au jeu et convainc la direction de Simca d’en réaliser une maquette. Comme les Américains, Simca s’offre ainsi une utopie qui accumule les déclarations d’intention : moteurs électriques, radars, cerveau électronique, alimentation par induction, gyroscopes assurant l’équilibre de la voiture quand les roues avant s’escamotent au-delà de 150 km/h… La Fulgur est exposée au Salon de Genève 1959.
Après deux années passées chez Simca, Robert Opron entre chez Arthur Martin où il crée différents appareils ménagers et des équipements de salle de bain. En 1962, il répond à une petite annonce sibylline qui émane de Citroën. Il se rend rue du Théâtre, à Paris. « C’était un environnement noir et crasseux. Il y avait un petit gourbi et, derrière, un local avec une table bancale et une chaise ». Opron est embauché et devient l’adjoint de Bertoni, le génial créateur de la DS. Les deux hommes ont en commun une formation d’architecte, un caractère bien trempé et un irrépressible goût pour les sardines écrasées dans la purée, avec du vinaigre.
Robert Opron assure la succession de Bertoni après sa mort, qui survient en 1964. Il poursuit son œuvre avec fidélité, mais avec beaucoup de personnalité : il assure le développement des SM, GS et CX. En 1975, Robert Opron quitte Citroën pour prendre en charge le Centre de Style de Renault auquel il donne une nouvelle dimension.Première mesure, il rattache au Centre de Style le nouveau département Art & Industrie qui fait travailler les artistes contemporains et constitue une fabuleuse collection d’art.
Puis il multiplie les consultations pour donner du panache à la marque : Marcello Gandini et Giorgetto Giugiaro, logique, mais aussis Terence Conran (créateur d’Habitat), Marc Held, Mario Bellini ou Olivier Mourgue qui sont des designers de produit étrangers au monde de l’automobile.
Robert Opron n’a aucun tabou : quand je lui propose mes services « pour connaître le design de l’intérieur », il n’hésite pas, il m’invite à travailler sur le programme Z qui devait déboucher dix ans plus tard sur la Twingo. J’ai fourni des dessins, des plans et même une maquette en clay au 1/5. Ma carrière de designer n’a pas été au-delà, mais cela m’a montré l’ouverture d’esprit de Robert Opron. En 1984, il quitte la Régie Renault et part à Turin pour diriger un groupe de recherches au sein du groupe Fiat. Cette cellule est chargée du développement du programme ES-30 qui débouchera sur les Alfa Romeo RZ et SZ.
Après cette expérience, Robert Opron a pris sa retraite sans jamais lâcher ses pinceaux. Tout le monde a oublié qu’il avait donné son assentiment pour le style de la Renault 9.
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