Kei cars à l'européenne : l'impossible équation
Le modèle japonais de petites autos légères et pas chères inspire les constructeurs français et la Commission européenne ces temps-ci. Mais en les rebaptisant e-cars, on ne leur garantit pas le succès pour autant. Loin de là.

Il suffit souvent d’une ou deux déclarations pour que la machine à fantasmes s’emballe. Et c’est ce qui est en train d’arriver aux Kei cars à l’européenne, rebaptisées e-cars par l’UE. Mais attention à ce que le jeu de mots, (e-car – Icare, vous l’avez ?) ne se brûle pas les ailes en s’approchant trop près du soleil d’une rentabilité inatteignable.
Petit rappel des faits tout de même. La semaine passée, les constructeurs européens s’en sont allés à Bruxelles plaider leur cause auprès d’Ursula von der Leyen. Pour eux, l’échéance de 2035 c’est niet. Ils ont déjà fort à faire avec la concurrence chinoise, les taxes américaines, les normes CAFE et leurs taux d’émission à la baisse.
Ursula a dit « jah »
Mais ils ne sont pas venus voir la présidente uniquement pour râler : ils ont sorti de leur chapeau une idée. Enfin surtout une idée franco-italienne, puisque du côté allemand on n’est pas vraiment fan du projet. Quelle est-elle ? Lancer des Kei car à l’européenne. Des petites autos pas chères (15 000 euros max) et pour que l’industriel s’y retrouve, il suffit d’alléger les normes de sécurité et de revenir vers celles de 2018, avant les bretelles électroniques GSR2, en gros.
En contrepartie, Jean-Philippe Imparato, le patron de Stellantis pour l’Europe, qui défend farouchement le projet, déjà avancé par Luca de Meo lorsqu’il émargeait chez Renault et John Elkann, le super boss de Stellantis. Son numéro 2 consent à les brider à 110 km / h et il a trouvé une oreille attentive au dernier étage du Berlaymont, le bâtiment qui abrite la Commission.
Ursula von der Leyen est partante, mais tout en restant plutôt floue sur le modèle possible. Elle le souhaite « propre, efficace, légère, économique et à un prix abordable », mais aussi « produit en Europe grâce à des approvisionnements européens », comme elle a décrit cette e-car lors de son discours de politique générale d’il y a une semaine.

L’option la plus sérieuse pour ces futures petites autos serait donc électrique, et, pour éviter les fourches caudines de la réglementation automobile classique, elle se retrouverait dans un marécage normatif qui lui interdirait l’usage des autoroutes, avec une autorisation pour les voies rapides et une limite de puissance à 54 ch.
Une Citroën Ami (et ses cousines Fiat et Opel) ou une Mobilize Duo viagratisée ? Une Dacia Spring ou une Leapmotor T03 entièrement fabriquée en Europe ? Une auto, en tout cas, qui devrait surgir de ces eaux-là.
On mesure la difficulté financière et industrielle d’un tel assemblage et de batteries made in chez nous, surtout au niveau des batteries, forcément LFP pour une question de coût. Mais au-delà de ces considérations bassement matérielles, on peut s’interroger sur le succès commercial de l’opération.
Y aura-t-il des clients pour les e-cars ?
La limite réglementaire, celle de l’autonomie et, malgré tout, le prix annoncé de ces e-cars sont autant d’obstacles qui pourraient être insurmontables. Car tout les destinent à n’être que les seconds véhicules d’un foyer.
Or, selon l’observatoire Cetelem qui s’était penché sur cette question il y a quelques mois, cette auto bis est, à 74%, d’occasion et âgée de plus de cinq ans. Le prix moyen de cette citadine ? Entre 8 et 12 000 euros. Damned, on n’est pas dans les clous de l’e-car.
En plus, l’absolu manque de polyvalence de ces futures « autos » risque de freiner les envies car même une simple Spring est capable d’affronter, sur terrain plat et sans vent, les 130 km / h et, évidemment, de prendre l’autoroute.
En outre, on nous vante le succès de ces engins au Japon. Mais ce pays n’est pas comparable à la vieille Europe. Les villes y sont autrement plus denses et Tokyo, par exemple, impose, lors de l’achat d’une voiture, de disposer d’une place de parking. Pas si l’on s’offre une Kei car. En outre, si elles sont limitées à 64 ch, elles atteignent, même difficilement, les 130 km/h et sont admises sur les autoroutes souvent limitées à 100 km / h.
Cerise sur le sushi, elles coûtent, en moyenne, 12 000 euros. Autant de raisons qui expliquent le carton qu’elles réalisent là-bas depuis 1949, l’année de la première législation en leur faveur. On n’en est pas là. On en est même très loin. De quoi laisser planer un vieux doute sur la viabilité de l’idée de Stellantis et Renault réunis.
De là à s’imaginer que la Commission européenne a tendu un piège aux constructeurs, leur laissant un os à ronger, même pas très ragoûtant, pour qu’ils renâclent moins, il n’y a qu’un pas. Un pas que nous ne franchirons évidemment pas.
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