Pourquoi le cinéma vit-il une histoire contrariée avec l’automobile ?
Taxi 5 ou Fast & Furious 8 sont loin d’être des chefs-d’œuvre. Encore une rencontre ratée entre l'automobile et le cinéma. Depuis les débuts de la voiture, qui a grandi en même temps que le 7e art, ces deux-là se sont frôlés, côtoyés, sans jamais vraiment s’apprécier ou même s’apprivoiser.
On a beau visionner encore et encore la bande-annonce de Taxi 5 livrée toute chaude par Florent Ferrière hier, on n’est pas tout à fait sûr de se retrouver face à un monument du septième art, même s’il faudra vérifier le bien-fondé de ce jugement lors de sa sortie le 10 avril prochain. Sans remettre en cause le talent de Franck Gastambide, le réalisateur de ce cinquième opus, le seul souvenir des quatre précédents ne laisse pas augurer d’un bouleversement total de l’ordre des choses.
Peut-on, pour autant, parler de la franchise marseillaise produite par Luc Besson comme d’un Fast & Furious à la petite semaine ? On peut, puisque les deux productions ont un commun leur seul intérêt et leurs gros inconvénients : des poursuites bien fichues, saupoudrées tout au long d’un scénario passionnant comme une liste de courses et joué par des acteurs dont le talent (si tant est qu’ils en ont) est étouffé par une réalisation aussi plate qu’une limace succombant sous les roues de 20 pouces de l’un des bolides exposé, et souvent explosé. Pour autant, l’échelle hollywoodienne et bessonienne n’est pas tout à fait la même, puisque dans Fast & Furious 8, une course-poursuite oppose un sous-marin nucléaire aux grosses autos des protagonistes, alors que Taxi 5 se contente de ressusciter une bonne vieille Peugeot 407.
Une vision pas vraiment positive de la voiture
Mais au-delà de ces deux exemples, loin d’être indispensables, on peut se demander si le cinéma n’a pas une dent contre l’automobile. Car les grands films qui traitent de ce qui fut malgré tout l’un des plus importants phénomènes économique, industriel et sociétal du XXe siècle sont aussi rares que les idées de mise en scène chez F.Gary Gray, le réalisateur du dernier Fast & Furious. Et encore, les seules œuvres dignes de ce nom ont un rapport un peu biaisé, et pour tout dire, pas vraiment positif à l’automobile. C’est le cas de Crash de David Cronenberg, et son penchant, pour le moins malsain, à la vitesse et aux accidents qu’elle provoque.
De G à D : le Spider Alfa, Jack Palance, Brigitte Bardot et Michel Piccoli dans Le Mépris, de Jean-Luc Godard.
C’est aussi le cas de Drive de Nicolas Winding Refn avec le photogénique Ryan Gosling. La voiture y est une clé vers l’univers noir et sans issue ou sombre son héros. Tout aussi sombre est la vision qu’en donne Clint Eastwood dans son Gran Torino. Le grand réalisateur place le coupé Ford modèle 1972 au centre de son dispositif, mais pas pour s’en servir, pas la peine. Il n’est présent que pour symboliser une Amérique dépassée, à l’arrêt. Quant au Mépris de Godard (1963), le très joli Spider Alfa 2600 qui s’y pavane permet au réalisateur suisse de caricaturer le riche et dragueur producteur américain interprété par Jack Palance. Et de faire dire à son héroïne Brigitte Bardot, « elle est belle ton Alfa … Romeo ».
De bons films, pas des chefs-d’œuvre
Certes, entre la production de Godard et les 8 épisodes de Fast & Furious, il y a un océan, rempli de nombreux films parfois très réussis, même s’ils ne sont pas des chefs-d’œuvre disséqués dans les écoles de cinéma. Il en va ainsi de Bullitt, de Peter Yates avec Steve Mc Queen. Il en va également ainsi de Rush, de Ron Howard qui cerne au plus près ce que la Formule 1 a pu être, avant sa version de somnolence dominicale d’aujourd’hui : une histoire d’ego, d’inconscience et de sang. On peut même s’autoriser à mettre au crédit de la passade amoureuse entre l’automobile et le cinéma les réjouissants Cars 1, 2 et 3. Les films d’animation de Pixar reflètent mieux que beaucoup d’œuvres réalistes la manière profonde dont l’automobile a irrigué la société, tout en reflétant le déclin de la première et sa perte d’influence sur la seconde.
De G à D : Chris Hemsworth (James Hunt) et Daniel Brühl (Niki Lauda) dans Rush de Ron Howard.
On le voit, l’automobile et le cinéma se sont beaucoup croisés, sans vraiment se rencontrer durablement, sans toujours s’aimer. Peut-être parce qu’ils sont trop semblables. Tous deux ont été de puissants symboles du XXe siècle. Tous deux vivent au XXIe une mutation gigantesque. L’automobile passe du rêve à un produit simplement utilitaire. Le cinéma lui aussi était un rêve, de grandes stars et de grandes salles. Et il doit changer de format et de moyen de diffusion. Mais ils ont encore quelque temps pour se retrouver. Avant transformation définitive.
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