PV par vidéo à Paris : où sont les caméras ? Quelles infractions sanctionnées ?
La vidéoverbalisation ne date pas d'hier, mais officiellement elle vient d'être lancée à Paris. Mieux vaut savoir à quoi s'attendre, car le développement de cette vidéoprotection n'en est certainement qu'à ses débuts. Alors peut-on être vidéoverbalisable pour tout et n'importe quoi, mais également n'importe où ? En théorie, cette nouvelle manière de réprimer les infractions routières est relativement encadrée. En pratique... Mieux vaut connaître ses droits !
Officiellement, la vidéoverbalisation a commencé hier à Paris, comme l'avait annoncé la préfecture de Police, à partir de la mi-mars. Et les « premiers PV » devaient bien être « dressés dès aujourd'hui », soit le mardi 2 avril, a confirmé le jour-même à Caradisiac Nicolas Lerner, l'adjoint au directeur de cabinet du préfet de Police. Officieusement, il semblerait toutefois que le procédé existe depuis belle lurette. Dès 2005, en effet, plusieurs titres de presse s'étaient fait l'écho de verbalisations dressées via des caméras installées au-dessus de couloirs de bus régulièrement empruntés par des voitures ou d'autres véhicules non autorisés… « Six mois après leur mise en service, 13 000 automobilistes en ont déjà été "victimes" », écrivait ainsi Le Parisien le 17 décembre 2005. Bien sûr, Caradisiac aussi y avait consacré tout un article…
La vidéoverbalisation, c'est de la vidéoprotection
Mais même si cette vidéoverbalisation n'est pas si récente, elle connaît un développement sans précédent en France, y compris donc dans la Capitale, où on est passé de quelque 300 à plus d'un millier de caméras en service en l'espace de deux ans. Pour autant, ce plan de vidéoprotection pour Paris (PVPP) ne paraît pas si ambitieux, aux dires des adeptes de cette vidéoprotection, comme il faut en effet la nommer (en remplacement de la vidéosurveillance) depuis la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 2) du 14 mars 2011. Par exemple, Philippe Goujon, maire (UMP) du 15e, considère que le dispositif « doit être étendu », et demande au ministre de l'Intérieur de déclencher « un second plan de 1 000 caméras », afin de l'étendre notamment aux départements de la petite couronne (cf. le compte-rendu de l'examen des crédits pour 2013 de la mission Sécurité en commission des lois constitutionnelles de l'Assemblée nationale, le 24 octobre 2012, page 19)… Manuel Valls (auditionné lors de cet examen à l'Assemblée nationale) ne serait d'ailleurs pas contre. Et en attendant une probable extension du système, c'est le millier de caméras de vidéoprotection déjà installées qui va servir à vidéoverbaliser les infractions routières.
Vidéoverbaliser, c'est quoi exactement ?
Grâce à ce système, les agents verbalisateurs n'ont alors plus à se déplacer pour pister les contrevenants, juste à se retrouver derrière un écran retransmettant les images de ces caméras de vidéosurveillance, et ainsi à dresser des PV à distance, sans passer par l'interpellation des conducteurs fautifs. « Forcément, un tel système est bien plus rentable que de privilégier la présence policière dans la rue ! », regrette Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le droit routier et que Caradisiac a l'habitude d'interroger.
Tout Paris sous surveillance ?
Le PVPP concerne tous les arrondissements parisiens, et vu la répartition des caméras, pas un seul n'a semble-t-il réellement été épargné par le projet. Maintenant si l'on en croit la note d'information de la préfecture de Police du 19 mars dernier, sur l'expérimentation de la vidéoverbalisation, on pourrait presque croire que les infractions commises dans les 5ème, 11ème, 12ème, 16ème et 20ème arrondissements ne seront pas vidéoverbalisables.
Dans ce document en effet, la préfecture cite ainsi les « lieux retenus » pour tester (avec de vrais PV à la clé, attention !) le système :
- Dans le 1er :
- la rue de Rivoli.
Dans les 2ème, 3ème et 4ème :
- les grands boulevards ;
- le boulevard Sébastopol ;
- la rue de Rivoli.
Dans les 6ème et 7ème :
- le boulevard Saint-Germain.
Dans le 8ème :
- l'avenue des Champs-Élysées ;
- la place Saint-Augustin.
Dans les 9ème et 10ème :
- les grands boulevards ;
- l'avenue de l'Opéra.
Dans le 14ème :
- l'avenue du Général Leclerc.
Dans le 15ème :
- la rue de Vaugirard.
Dans le 17ème :
- l'avenue de Clichy.
Dans le 18ème :
- le boulevard Barbès ;
- la rue Max Dormoy.
Dans le 19ème :
- l'avenue Jean-Jaurès.
Mais en théorie, rien n'empêche les agents placés derrière les écrans de vidéoverbaliser d'autres manquements repérés sur les bandes-vidéo, en dehors de ces zones certes privilégiées ! Attention au discours officiel en effet.
N'importe quelle infraction vidéoverbalisable ?
Au total, six types d'infraction sont dans le collimateur de la préfecture. A croire d'ailleurs que seules ces infractions pourraient être relevées ainsi ! Les voici :
- « le franchissement d'un feu rouge » (indépendamment donc des radars feu rouge déjà installés à Paris),
- « l'emprunt d'une voie non affectée à sa catégorie »,
- les infractions liées au stationnement, comme le « stationnement en double file », « dans des intersections ou sur des passages protégés » (comme les passages pour piétons), ou encore d'une manière générale le stationnement « irrégulier dans les voies réservées ».
Légalement en effet, sans l'interpellation des conducteurs, toutes les infractions ne sont pas verbalisables, et donc a fortiori vidéoverbalisables… Sauf qu'elles ne se limitent pas non plus aux fautes relatives au stationnement, aux feux rouges grillés et à l'emprunt des voies réservées aux bus et taxis. Trois autres infractions pourraient être également ainsi épinglées, en vertu de l'article L121-3 du code de la Route :
- les excès de vitesse (dès lors toutefois qu'un radar a bien été utilisé pour les mesurer),
- le non-respect des distances de sécurité et,
- le non-respect des stops.
Théoriquement, aucun PV pour sanctionner l'usage du téléphone portable au volant, la ceinture non attachée, le défaut de clignotant, et toutes les autres infractions non couvertes par les articles L121-2 et L121-3 du code de la Route, ne devraient pouvoir être dressées sans arrestation, et donc sans le relevé précis de l'identité des conducteurs pris en faute. Sauf qu'en pratique, il ne serait pas étonnant non plus de voir ces infractions aussi bien traitées ! « Il n'y a qu'à faire un tour dans les juridictions de Proximité [ces tribunaux en charge de ce contentieux, NDLR] pour se rendre compte qu'il arrive très souvent, notamment à Paris, et en particulier sur le périphérique, que ce genre d'infractions soient reprochées sans qu'il y ait eu au préalable une interpellation », explique Me Tichit. Des PV déjà dressés dans le cadre de la vidéoprotection ? « Difficile à savoir puisque ces contraventions ne le précisent jamais ! Elles ont aussi très bien pu être dressées au vol ou à la volée, comme on dit, mais avec des agents qui les auraient bien constatées de visu, sans caméra », précise encore Me Tichit. « Ce qui est grandement discutable, puisqu'il est impossible alors de vérifier que la réglementation a bien été respectée », déplore-t-elle.
Le cadre légal de la vidéoprotection ?
Les systèmes de vidéosurveillance ont commencé à être encadrés avec la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995. D'entrée de jeu, la vidéoverbalisation en fait partie. Sauf que jusqu'à récemment, les caméras disponibles sur le marché ne permettaient pas forcément son développement (impossible par exemple de zoomer sur les numéros d'immatriculation ou d'obtenir des images bien nettes). Ensuite, la volonté politique, en particulier sous la présidence de Nicolas Sarkozy sous lequel la vidéosurveillance est devenue la principale dépense du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), a fait le reste.
Maintenant, en vertu de cette même loi et du code de la Sécurité intérieure (articles L251-1 et suivants), aucune caméra ne peut théoriquement être branchée sans autorisation et, surtout, sans finalité précise affichée. Non seulement, un arrêté préfectoral est indispensable à l'installation d'un système de vidéoprotection, mais cet arrêté doit clairement mentionner le but recherché du dispositif autorisé.
A Paris, tous les arrêtés pris en 2010 pour le développement du PVPP ont dû être ainsi modifiés pour introduire cette nouvelle finalité qu'est « la constatation des infractions aux règles de la circulation ». Et ils ont « tous été publiés au recueil des actes administratifs de la préfecture de Paris, et ce dès le mois de décembre dernier », nous a précisé Nicolas Lerner, au cabinet du préfet.
Mais quid alors des PV dressés dès 2005 via les caméras installées au-dessus des couloirs de bus, dont on a parlé plus haut ? On a eu beau interroger aussi la préfecture à leur sujet, nous n'avons jamais réussi à obtenir la moindre réponse...
Des PV contestables ?
De la même façon que pour les excès de vitesse ou les franchissements des feux rouges relevés par les radars automatisés, les propriétaires destinataires des PV (qu'il s'agisse de vidéoverbalisation ou de verbalisation au vol) pourront toujours nier avoir été au volant au moment des faits. Sans preuve de leur innocence, ils ne pourront qu'être relaxés sur le plan pénal et ainsi échapper au retrait de point(s), dès lors que cette sanction est prévue pour réprimer l'infraction reprochée. En revanche, l'amende du « propriétaire-payeur » restera bien à régler… Exactement comme pour les radars automatiques ! A moins toutefois que les faits reprochés ne concernent justement pas ceux listés aux articles L121-2 et L121-3 du code de la Route !
« Il me semble primordial de prévenir tous les conducteurs que si l'infraction qu'on leur reproche, alors qu'ils n'ont jamais été arrêtés, ne fait pas partie des manquements que l'on peut verbaliser sans interpellation, via ainsi des caméras ou même à la volée, ils n'ont qu'à assurer qu'ils ne conduisaient pas leur véhicule, sans être contraints de désigner qui que ce soit, pour être entièrement épargnés ! », insiste Me Tichit. Pour prendre l'exemple des infractions citées plus haut, soit pour un défaut de clignotant, une ceinture non attachée ou encore un portable au volant, les propriétaires contestataires devraient pouvoir échapper aussi bien à l'amende qu'au retrait de point(s) !
Enfin, pour les infractions vidéoverbalisables, si les titulaires des certificats d'immatriculation ont les moyens de prouver leur innocence (certificat d'employeur ou médical, témoignages…), ils ne devraient rien avoir à débourser non plus. Le système a tout de même quelques limites Du moins pour l'instant, en l'état actuel du droit français...
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