80 km/h : l'État estime le gain à 26 millions d'euros
C'est une estimation bien prudente que le gouvernement vient de dévoiler concernant les recettes supplémentaires attendues des radars automatiques avec l'abaissement de la vitesse limite sur le réseau secondaire depuis cet été. Seuls 26 millions d'euros seront ainsi reversés aux hôpitaux, alors que c'est potentiellement le double qui peut être attendu. Explications.
Le gouvernement estime le surcroît des recettes "devant résulter de l’abaissement à 80 km/h (…) à partir du 1er juillet (…) à 26 millions d'euros", peut-on constater dans le projet de loi de Finances pour 2019 qui vient d'être déposé au Parlement. Ce surplus, généré par le regain d'activité attendu des radars automatiques installés sur les routes impactées par la mesure, "sera prioritairement affecté au fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés", explique-t-il aussi, "conformément aux annonces (...) faites lors du comité interministériel de la sécurité routière (CISR) de janvier dernier"… 26 millions d'euros reversés aux hôpitaux, on pouvait s'attendre à mieux !
Pour rappel, en 2017, le système du contrôle automatisé a dressé quelque 17,03 millions de PV, ce qui a généré 1 013,2 millions d'euros de recettes. En clair, un PV de radar automatique rapporte en moyenne 59,50 euros à l'État. Alors quand celui-ci dit compter sur 26 millions d'euros de recettes supplémentaires, cela signifie qu'avec ce passage au 80 km/h, il table sur quelque 436 974 PV de plus qu'en 2017… Une projection qui paraît bien basse.
Un surcroît de plus de 164 000 PV en juillet…
Pour s'en rendre compte, il n'y a qu'à se référer aux chiffres communiqués par le délégué à la Sécurité routière à nos confrères d'Ouest France, un mois après la mise en œuvre de la mesure. Selon Emmanuel Barbe, "le nombre d’automobilistes flashés sur les routes où la vitesse a été abaissée de 90 à 80 km/h a été multiplié par 2,1 en juillet par rapport à l’an passé. Au total, plus de 500 000 véhicules ont été flashés sur les routes secondaires à double sens sans séparateur central (muret, glissière), soit 251 893 de plus par rapport à juillet 2017".
Attention, un "flash" ne se transforme pas systématiquement en PV. Si l'on se réfère encore une fois aux rares chiffres communiqués officiellement sur le sujet, le taux de conversion (de flashs en PV) s’est établi en 2017 à 65,25 %. Autrement dit, les 500 000 flashs de juillet dernier ont produit 326 250 contraventions, soit 164 360 de plus qu'en 2017, comme repris dans notre tableau ci-dessous.
Le surcroît des PV et recettes | Juillet 2017 | Juillet 2018 | Variation annuelle |
Nombre de PV estimé | 161 890 | 326 250 | + 164 360 |
Recettes estimées | 9 632 455 € | 19 411 875 € | + 9 779 420 € |
... À ce rythme, les 26 millions sont déjà encaissés !
Sur la base de ces chiffres, on peut donc estimer qu'en juillet, près de 9,8 millions d'euros de recettes supplémentaires (164 360 PV x 59,50 euros) ont été engrangés par rapport à la même période 2017. À ce rythme, les 26 millions d'euros de surplus escomptés dus au 80 km/h ont d'ores et déjà été encaissés, alors qu'il reste encore trois mois pour finir l'année !
Certes, la moyenne des flashs est vouée à diminuer. Mais il ne faut pas oublier que les chiffres de juillet ne proviennent a priori que des seuls radars fixes puisqu'il avait été demandé aux forces de l'ordre de faire œuvre dans un premier temps de clémence. Plutôt que de réprimer et dresser des PV, il leur avait été enjoint d'expliquer l'instauration de ce 80 km/h. Partant de là, les radars embarqués (toujours actionnés par les forces de l'ordre, si ce n'est une poignée gérée par une entreprise privée en Normandie) n'ont pas dû être beaucoup utilisés.
Surtout, si l'on se réfère à ce qui s'était passé sur les trois tronçons sur lesquels le 80 km/h avait été testé à partir de 2015, avant sa généralisation cet été, les chiffres annoncés fin juillet paraissent bien bas. Car sur les portions de l'Yonne, la Nièvre, la Haute-Loire et la Drôme, il ne s'agissait pas d'un doublement de l'activité des automates, mais d'un quadruplement, et ce, non pas sur un petit mois, mais sur deux ans !
Les radars qui financent l'hôpital, est-ce bien légal ?
Reste enfin que cette redistribution de 26 millions d'euros aux hôpitaux - qu'elle paraisse insignifiante au regard des dépenses consacrées aux soins hospitaliers (88 milliards d'euros en 2014 pour exemple) ou simplement en deçà de ce que l'abaissement du 80 km/h a dû générer - ne semble pas répondre au principe de spécialité de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Comme le rappelle chaque année la Cour des Comptes, l'affectation des amendes radars, comme l'ensemble des amendes routières, contrevient à l’article 21 de cette LOLF qui dispose que les opérations budgétaires prévues dans les lois de Finances doivent être "financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées".
Que les amendes routières viennent abonder le budget des hôpitaux, comme par ailleurs celui de l'État, ne paraît pas vraiment respecter tout cela. À coup sûr, le gouvernement y a bien pensé. C'est pourquoi le Premier ministre Édouard Philippe faisait valoir, en janvier, à l'annonce de la mesure, que ce produit des amendes irait aux seuls "établissements qui accompagnent le soin et la rééducation des accidentés de la route".
#80kmh : ce n’est pas pour remplir les caisses ! Le produit des amendes sera systématiquement et exclusivement affecté aux établissements qui accompagnent le soin et la rééducation des accidentés de la route. #RTLMatin pic.twitter.com/sARlg0pqwu
— Edouard Philippe (@EPhilippePM) 2 juillet 2018
Seulement voilà, des hôpitaux clairement spécialisés dans le traitement des accidentés de la route, ça n'existe apparemment pas. Pour l'heure, il n'en est donc plus fait mention dans le projet de loi de Finances. Cela fait de toute façon des années que la Cour des comptes recommande "une réorganisation en profondeur", "dès que possible", de l'utilisation de cet argent des amendes routières, ça n'a jamais empêché le Parlement de voter cette partie du projet de loi de Finances, ni même conduit les parlementaires à fortement l'amender. Ça n’est donc pas près de s'arranger.
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