A North Hollywood, le centre de style avancé de General Motors réfléchit au futur de l’automobile avec 10, 15 ans d’avance. Au cœur de cette pépinière de talents, deux Français, Gaël Buzyn et Charles Lefranc, à la vocation solide et au coup de crayon aiguisé. Portraits de ces designers que Caradisiac est allé rencontrer à Los Angeles.



« La France ? Elle ne me manque absolument pas, sauf ma famille ! Je n’ai jamais travaillé en France, je ne sais pas ce que c’est. » Demandez à Charles Lefranc, installé à Los Angeles, d’abandonner la mer, le soleil et le kyte-surf, vous verrez : difficile, une fois qu’on a goûté à la Californie, de s’en passer. Depuis trois ans, il œuvre comme designer au centre de style avancé de General Motors, sis à North Hollywood, sur la commune de Burbank, non loin de Warner, NBC et Disney.

Dans cette ancienne boulangerie industrielle, le premier constructeur mondial y défriche l’automobile du futur sous l’impulsion de Frank Saucedo, l’une des sommités de GM en Europe, qui a notamment signé la première Opel Tigra. Au studio, les quatre marques américaines du groupe sont représentées : l’utilitariste GMC, la chic Buick (jumelée à Opel sur certains modèles), l’opulente Cadillac, la mondiale Chevrolet. Là, pas de plafond en polystyrène, d’employés en chemise ou d’exigus « cubicles ». Le studio de création, où planchent une bonne vingtaine de designers, ressemble à une grande chambre d’ado, un open space savamment organisé en bazar… ou un bazar organisé, c’est selon. Ici, une maquette géante de Hummer, là un billard rouge, plus loin, quelques vélos. Et puis, des revues, des bouquins partout, sur tout. D’AD au mythique Car&Driver, bible de l’amoureux d’automobiles, aux Etats-Unis.

Caradisiac à Los Angeles - ITW exclusive de deux designers français qui inventent les américaines du futur

Charles Lefranc


Eponges cosmopolites, les designers de GM viennent des quatre coins de la planète. Comme eux, Lefranc s’est expatrié très tôt : après son diplôme à l’école Créapôle, rue de Rivoli à Paris, il enchaîne les stages à Tokyo, chez Toyota, en Italie chez Pininfarina, à Osaka chez Daihatsu avant de se confronter aux studios de General Motors à Detroit, ou une certaine Anne Asensio, l’une des ex-stars de Renault, alors en charge du design avancé de GM, lui met le pied à l’étrier. S’ensuivent deux années à Rüsselsheim, en Allemagne, à imaginer l’intérieur de l’actuelle Opel Astra, puis à plancher sur les concept-cars. « C’est une excitation très forte de travailler sur un véhicule de production qui se vend, que tout le monde aime. Mais un show car, c’est neuf mois à un an de travail, pas trois ans. Et moi, j’aime bien travailler rapidement, j’aime qu’il y ait du nouveau tout le temps ! » s’enthousiasme-t-il. Une expérience qui lui servira de passeport pour la Californie. Du neuf tout le temps ? Charles développe maintenant pas moins de douze projets par an : « Ici, on a la possibilité d’être son propre manager. On peut gratter la clay soi-même, faire de la 3D. Toute méthode est bonne à prendre du moment que l’on rend ses projets à l’heure. »



Caradisiac à Los Angeles - ITW exclusive de deux designers français qui inventent les américaines du futur

Concept Cadillac 2010 UrbLuxCon



L’un de ses derniers projets s’appelle Cadillac ULC, dont il a signé l’intérieur. Révélé il y a deux ans au salon de Los Angeles, cet « Urban Luxury Concept » est une première immixtion de la prestigieuse marque américaine, chahutée à domicile par les constructeurs allemands, dans l’univers des compactes premium. Une petite Cad ? Une réflexion au long cours. « Ici, c’est un peu le think tank des projets » assure Gaël Buzyn, qui manage les programmes côté design intérieur. « On trouve peu d’endroits aux Etats-Unis où la concentration en voitures de luxe est aussi forte qu’à Los Angeles. Il y a ici un véritable laboratoire vivant, on peut expérimenter avec tous les types de consommateurs, ceux qui habitent en ville, ceux qui font du off-road, ceux qui veulent une voiture de luxe, ceux qui pensent green, green green. Les SUV ont été créés ici !»


Caradisiac à Los Angeles - ITW exclusive de deux designers français qui inventent les américaines du futur

Gaël Buzyn



Buzyn, 40 ans, travaille au studio depuis six ans. Sur l’étagère qui surplombe son bureau, un petit livret raconte l’histoire de la Porsche 928. C’est elle, plus qu’aucune autre, qui est à l’origine de la vocation de ce Parisien d’origine. « Quand je l’ai vue pour la première fois, je me suis dit…. Il doit bien y avoir quelqu’un qui est responsable de l’effet Kiss Cool ! »

Seulement voilà, à l’époque, difficile de convaincre une mère psychologue et un père chirurgien que dessiner des automobiles est un vrai métier. L’intervention d’un certain Alexandre Malval, actuel directeur du style Citroën pour les gammes « C », sera déterminante : ce fils d’amis de la famille, alors prometteur étudiant au Royal College of Art de Londres, achèvera de les persuader. Buzyn finira par boucler un diplôme en architecture d’intérieur à l’ESAG Penninghen puis enchaînera à Issy-les-Moulineaux sur un master à Strate Collège, mondialement réputée auprès des constructeurs, histoire d’ancrer son cursus dans l’automobile. Dedans, plutôt que dehors : « J’ai appris à travailler de l’intérieur vers l’extérieur, et j’aime cette approche de travailler pour l’humain. » Après un CDD de 6 mois chez PSA, il atterrit à Wolfsburg, chez Volkswagen, qui l’affecte à l’intérieur de la Golf V, puis de la Golf Plus : « J’y ai appris que pour l’intérieur, le style était secondaire. Que seules la fonctionnalité, la finition, la durabilité priment. » Un passage au studio californien de Volkswagen, où il dessinera l’habitacle du Concept T, lui sert de révélateur : « L’ouverture des routes, les paysages, les couleurs, c’est très graphique ici. Ca parle beaucoup aux designers ! Et puis, la culture est très ancrée dans le passé avec les old-timers, les hot rods… Je suis tombé amoureux de cet endroit… » confie ce dévot du bauhaus.


Caradisiac à Los Angeles - ITW exclusive de deux designers français qui inventent les américaines du futur

Concept 2011 Cadillac Ciel


Mais VW n’a pas de poste fixe à lui proposer… Buzyn tracera sa route chez General Motors, lui aussi appelé par Anne Asensio, son ancienne professeure à Strate College, où il devient interior design manager. Dernièrement, il a œuvré sur les GMC Granite, la Cadillac ULC mais surtout la spectaculaire Cadillac Ciel du concours d’élégance de Pebble Beach de 2011, sa fierté : « une célébration de la Californie, une ode au voyage, plus qu’à la destination. Un projet de rêve, avec un cahier des charges idéal : deux couples qui partent déguster des vins californiens en week-end prolongé sur la highway one. » Un fantasme absolu pour lui qui roule « corporate » (fonctions obligent), entre Corvette, Cadillac CTS, GMC Ukon et gros pick up Chevrolet Silverado, qui a emmené ce passionné d’astronomie contempler l’éclipse californienne de mai dernier. Rassurez-vous, Buzyn n’oublie pas ses racines : dans son garage, une icône du design français qu’il a fait rapatrier… sa Citroën DS blanc carrare de 1968 !