Autoroutes : un sénateur appelle à résilier les contrats dès cet été !
Rebelote. À croire que dès qu'un parlementaire se penche sérieusement sur le sujet, sa conclusion finit toujours par être la même : l'État doit rompre les contrats de concession d'autoroutes, du moins ceux de Vinci et d'Eiffage, afin de mettre un terme à leur surrentabilité. Et cette fois, ce n'est même pas un élu de gauche qui le dit !
Presque 10 ans après un député socialiste (en l'occurrence Jean-Paul Chanteguet, alors rapporteur d'une mission d'information sur les autoroutes), c'est au tour d'un sénateur centriste d'appeler à la rupture anticipée des contrats de concession d'autoroutes, dits historiques.
« L’État peut mettre fin aux concessions de Vinci [ASF et Escota] dès le 14 juillet ! », indique Vincent Delahaye (en photo ci-dessus) à Marianne, ce mercredi. Et pour « l’autre grand acteur du secteur, Eiffage (en association avec Macquarie), qui gère le réseau APRR », ce serait possible selon lui « au terme de 2024. »
Pourquoi ? Parce que c’est à partir de là que ces concessions auront atteint leurs objectifs de rentabilité.
L’élu de l’Essonne rappelle ainsi que, sur la base des calculs réalisés par Frédéric Fortin, l’expert en fusions-acquisitions et en finances d’entreprise auquel avait fait appel la commission d’enquête dont il était rapporteur en 2020, ces sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) s’apprêtent à atteindre le taux de rentabilité attendu au moment de la privatisation de 2006.
Une résiliation sans indemnité !
Ce taux de rentabilité est de 7,67 %, selon le rapport de l’Inspection générale des Finances, révélé par Le Canard enchaîné fin janvier.
Or, dès que ce taux est atteint, l’État est « en droit de mettre fin unilatéralement et sans indemnité aux contrats de concession », précise Delahaye.
Ce serait d'ailleurs la seule voie « légalement envisageable », selon le rapport IGF parmi les trois options songées, comprenant aussi une diminution des péages et un prélèvement sur l’excédent brut d’exploitation des SCA, pour « réaligner la rentabilité » de ces dernières sur celle prévue à la privatisation.
Et cela correspond à « une jurisprudence constante du Conseil d’État », ajoute Jean-Baptiste Vila, professeur de droit public, questionné par Caradisiac.
« Dans le cadre d’une résiliation anticipée d’un contrat pour motif d'intérêt général, s’il s’avère que le concessionnaire a déjà encaissé un "bénéfice raisonnable", il n’y a dès lors plus d’indemnité à verser. »
Lors d’un colloque sur le sujet au Sénat, organisé justement par Vincent Delahaye et son université de Bordeaux, il y a un an, Vila avait d’ailleurs déjà eu l’occasion de rappeler cette jurisprudence du Conseil d'État de 2009, baptisée « commune d’Olivet », du nom du concédant concerné dans cette affaire… Et il n’était pas le seul !
Michaël Karpenschif, professeur agrégé également en droit public avait insisté sur ce constat : « Si le manque à gagner a déjà été couvert et si les biens investis ont déjà été amortis, la résiliation pour motif d’intérêt général se fait sans indemnité… Et cette hypothèse n’est pas rare ! »
À l’entendre, cette solution juridique, « non seulement elle existe, mais elle est déjà mise en œuvre dans tout un tas d’autres hypothèses de contrats de concession. »
Et de conclure : « À partir du moment où le délégataire [ou le concessionnaire] est retombé sur ses pattes, je ne vois absolument pas le problème juridique. Je pense que le problème n'est pas juridique… Il est politique. »
Autrement dit, on serait bien loin du coût astronomique de 40 voire 50 milliards d’euros brandis systématiquement par l’exécutif lorsqu'il est question de cette rupture anticipée des contrats.
Et la dette alors ?
Ceci dit, la divulgation du rapport IGF a, du moins en apparence, changé quelque peu la donne.
Les ministres de l’Économie, Bruno Le Maire, et des Transports, Clément Beaune, ont ainsi annoncé début février à l'AFP qu'ils étaient en train d'étudier « conformément aux conclusions du rapport de l’IGF (...), toutes les solutions pour raccourcir la durée des concessions d’autoroutes. Nous analysons ce qui est juridiquement faisable en la matière », a garanti Bercy.
Alors même si le scénario paraît encore des plus improbables, s'il devait se réaliser, qu'en serait-il de la dette de ces sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) ?
Pour rappel, il est d'usage de dire que la privatisation de 2006 a rapporté 14,8 milliards d'euros à l'État, qui par la même occasion s'est débarrassé de la dette jusqu'alors contractée, soit quelque 30 milliards d'euros transférés aux SCA.
Et aujourd'hui, à combien s'élève cette dette côté SCA ? Début 2022, Frédéric Fortin l'évaluait à 20 milliards d'euros.
Mais pour le financier, comme pour les juristes, cela n'a rien à voir ! Et, dans le scénario d'une rupture anticipée des contrats, elle ne serait pas à reprendre par l'État.
Si cette dette n'est toujours pas remboursée, c'est aussi un choix de gestion, afin notamment de dégager davantage de dividendes, laissent-ils notamment entendre.
Dans son interview, Vincent Delahaye explique que si les contrats se poursuivent dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, « à partir du 14 juillet prochain et jusqu’à la fin de sa concession en 2036, Vinci va engranger 22,2 milliards d’euros de surprofit. »
Quant à Eiffage, il en empocherait « 10,2 milliards ».
Le 22 mars, selon le média Contexte, Bruno Le Maire sera auditiotionné à l'Assemblée nationale par la commission des Finances, dont son président le député LFI, Eric Coquerel, avait annoncé « suivre l’avancée du dossier », après avoir pris connaissance du rapport IGF.
À n’en pas douter, le sujet de la résiliation des contrats y sera abordé.
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