Copacabana, où les Boliviens viennent bénir leurs voitures à la bière et au pétillant
Au coeur de l'Amérique du Sud, une petite ville des montagnes boliviennes célèbre depuis des siècles le culte de la Pachamama, une vierge miraculeuse issue de la culture inca. De nos jours, cette adoration prend la forme d'un rituel folklorique pour les automobilistes passant par-là.

« Copa, Copacabana […] », comme le chantait le crooner américain Barry Manilow dans son tube de 1978, est un nom qui fait rêver, un nom qui sent bon les clichés : la baie de Rio de Janeiro, le sable blanc et le farniente... Mais aussi les palaces, les parties de beach-volley et enfin le carnaval. Car le clou du spectacle, à Copacabana, c’est bien sûr ce rendez-vous annuel majeur où l’on voit évoluer les fameuses passistas, danseuses aux costumes à plumes féériques qui enchaînent les pas de samba jusqu’au bout de la nuit aux sons des surdos, cuicas et autres percussions.
Sauf que la destination brésilienne, ce quartier balnéaire couru des célébrités et des touristes, face auquel se dresse le Pain de sucre et s’étire l’une des plages les plus connues au monde, compte un homonyme autrement pittoresque et radicalement terrien. Il s’agit d’une lointaine jumelle située à 3500 kilomètres plus à l’ouest, une petite ville de Bolivie où l’esprit de fête rime certes avec couleurs et une forme de démesure, mais avant tout avec l’usage du goupillon et le registre du sacré.
In Spiritum sanctum...à 4 roues
C’est là, justement, dans un décor de montagnes perché à 3840 mètres d’altitude, sur les bords du mythique Lac Titicaca, que se déploie chaque jour depuis des décennies un étrange ballet. A 10 heures et 14h30 du lundi au vendredi, et plus encore le week-end, les habitants de Copacabana assistent en effet à un défilé incessant. Sous leurs yeux s’avance une noria de véhicules, ornés de guirlandes ou de couronnes de fleurs, parfois coiffés d’un chapeau sur la partie avant du toit, et s’agglutinant les uns derrière les autres depuis l’entrée de la bourgade jusqu’à la Basilique Notre-Dame.
Dans ce village situé au cœur de l’Amérique du Sud, sur la route principale qui relie Cuzco à La Paz, c’est la légende d'une Vierge miraculeuse qui attire tous ces pèlerins sur le parvis de l’édifice. Chacune des processions rassemble des véhicules neufs ou de seconde main, immatriculés en Bolivie, au Pérou et bien au-delà parfois. Les conducteurs et leurs proches viennent d’ailleurs souvent de très loin pour implorer la Sainte-Patronne locale et lui demander, à l’instar du culte de Saint-Christophe, la bénédiction de leur moyen de transport et plus globalement, la sécurité de tous leurs biens matériels.

Dans cette faune humaine et motorisée, scrutée de près par les marchands de souvenirs ayant pignon sur rue, on recense une large variété de marques et de gammes. Les spécimens badgés Suzuki, Toyota, Mitsubishi, Jeep, Ford, Volkswagen ou encore Mercedes, dont les réseaux de distributions sont les plus implantés localement, comptent parmi les plus nombreux.
Depuis 2017 en outre, de rares modèles électriques siglés Quantum Motors ont pu parfois être tentés de faire le voyage. Il faut dire que la jeune marque automobile nationale fait la fierté du peuple bolivien, presque autant que l'envolée du condor ou la culture de la coca.
Mais finalement, peu importe la monture et une quelconque tendance « m’as-tu-vu »… C’est officiellement l’ivresse de la foi et de la fête qui guide la foule jusqu’à ce contrefort de la Cordillère des Andes. Ainsi, qu’ils soient au volant de voitures particulières, de fourgonnettes, de pick-up ou de poids-lourds, ces drôles de partisans ont avant tout plaisir à ressentir l’âme spéciale des lieux, à circuler en file indienne sur l’Avenida 6 de Agosto, la Plaza Sucre et la Plaza 2 de Febrero pour invoquer dans la ferveur populaire et de joyeux embouteillages l’esprit de la « Pachamama ».
« A la tienne, Pachamama ! »

La Pachamama n’est autre que la divinité suprême pour les Quetchuas, une « Terre-mère » symbole de fertilité et de protection pour ce peuple descendant direct des Incas qui compose à ce jour encore un sixième de la population péruvienne et un dixième de la population bolivienne.
Cette déesse est censée apporter du soutien à tout fidèle venu l’honorer, quelle que soit son origine, sa confession ou sa nationalité d’ailleurs, fût-il arrivé jusqu’à Copacabana à pied, à dos d’alpaga ou… sur quatre roues donc.
Durant cette cérémonie insolite que l’on nomme ici « la Bendición de movilidades », l’eau bénite utilisée par les prêtres locaux se mêle en outre sans plus d’embarras à d’autres sources « purificatrices » issues en partie de croyances indigènes.
Une fois leurs véhicules baptisés, depuis l’habitacle jusqu’au capot moteur grand ouvert, les chauffeurs prennent en effet soin de parachever leur fictive assurance tous risques en arrosant la carrosserie et les pneus de leurs embarcations à grands jets de bière, de champagne ou de pétillants divers. Dans la foulée, les mêmes font exploser claque-doigts et chaînes de pétards afin d'exprimer bruyamment leur joie.
Après quoi, ces pèlerins ont généralement l'habitude de stationner à la sortie de la ville pour aller randonner à pied. Avec quelques fonds de bouteilles sous le chapeau ou dans la musette, ils s'en vont ainsi ponctuer la fête au sommet du Cerro Calvario, une colline sanctuaire qui, du haut de ses 4000 mètres, domine cette si singulière Copacabana et les îles sacrées du Lac Titicaca.
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération