DESIGN by BELLU - Citroën : cent ans d'innovation ? - "Tout le monde admire la 2 CV et la DS, mais elles n’ont jamais été copiées. Le Français est désespérant de conformisme".
Cet été, Citroën fête son centenaire. Pour ses laudateurs, c’est toujours l’innovation qui sert de fil rouge à cette longue histoire. Mais le double chevron mérite-t-il vraiment cette réputation ?
C’est avec la nomination de Flaminio Bertoni que la destinée de Citroën a basculé. Pendant trois décennies, l’image de la marque a été intimement liée à cette personnalité ténébreuse. Dès son engagement, en juin 1932, il planche sur le dessin de la « Traction Avant » qu’André Citroën souhaite révolutionnaire. La période est cruciale pour l’évolution des lignes ; elle est marquée par la vogue du streamline née aux États-Unis. Bertoni va-t-il en profiter pour tracer une silhouette radicale, profilée, futuriste ?…
Pas du tout ! Citroën reste en marge de la frénésie de formes enveloppantes et aérodynamiques qui stimule ses contemporains.
Avec sa calandre plate, ses ailes fines rapportées et les phares arrimés sur les ailes, la Traction arbore une ligne résolument sage, voire démodée. La Chrysler Airflow présentée deux mois avant la Traction est autrement plus audacieuse ; Peugeot s’en inspirera…
Flaminio Bertoni se montre beaucoup plus iconoclaste avec le projet TPV, oubliant toute notion d’esthétisme pour concevoir la caisse la plus rudimentaire possible : phare unique, tôles planes, vitrage en mica, sièges tubulaires sur le prototype de 1939… La 2 CV de série, à peine moins rustique, sera lancée neuf ans plus tard. Un pur chef-d’œuvre de design fonctionnaliste à une époque où les Français ignorent le mot et ce qu’il recouvre.
Arrive en 1955 l’icône absolue : la Déesse, comme la nomme Roland Barthes ! Son style est fulgurant : profil bicorps fuselé, flancs lisses, aucune décoration, capot plongeant, pas de calandre, plancher plat, roues carénées, surface vitrée optimale… La DS humilie toutes ses contemporaines…
Bertoni travaille ensuite sur un modèle destiné à combler le vide entre la 2 CV et la DS. L’Ami 6 voit le jour en 1961 pour la plus grande fierté de l’artiste : souvent moquée, c’est néanmoins sa préférée ! Avec sa lunette arrière inclinée, elle exprime l’originalité d’un personnage iconoclaste et complexé par son physique. Caractériel et dingue des sardines à l’huile.
Cette passion pour le petit poisson, c’est le principal point commun avec son successeur, Robert Opron, qui reprend le flambeau avec panache et humilité. Ses premières créations (GS en 1970 et CX en 1974) sont intéressantes, mais copiées sans scrupule sur des projets de Pininfarina. Quant à la SM, que des inconditionnels admirent, elle frappe par son esthétique maniérée et sans harmonie, assemblage hasardeux de volumes souples et de motifs anguleux.
Après le départ d’Opron, Citroën entre dans une longue période d’errances et d’erreurs marquée par l’assimilation dans le groupe PSA. Il faut attendre 1980 et la nomination de Trevor Fiore pour que soit restaurée une direction du style. En dehors de concept-cars originaux (la pyramidale Karin en 1980 et la monolithique Xenia en 1981), il ne se passe rien. Sauf dans les aménagements intérieurs pour lesquels Michel Harmand trouve des solutions qui refusent les automatismes abêtissants : il imagine la lunule pour la CX et les satellites de commande autour du volant pour la Visa.
Les Anglo-Saxons se succèdent à la direction du Centre de Création entre 1982 et 2000 avec Carl Olsen puis Arthur Blakeslee aux commandes. Ils se reposent sur la collaboration de Bertone pendant qu’ils goûtent les charmes de la culture et de la gastronomie françaises. Citroën finit par gommer son identité et renier son passé.
L’espoir renaît avec l’arrivée d’un homme providentiel : Jean-Pierre Ploué débarque à Vélizy le 2 décembre 1999. Très vite, il met de l’ordre dans les studios et instaure la production intensive de concept-cars. Beaucoup sont intéressants, comme C-Airdream en 2002 ou Revolt en 2009.
Certains sont même carrément brillants comme C-Sportlounge en 2005 qui se transformera en DS 5. Œuvre de Frédéric Soubirou, la DS 5 fait évoluer le concept des monospaces et donne une lecture nouvelle de la berline familiale. Du grand art ! Ce qui lui vaut de devenir une victime de plus de la pusillanimité du public, de son incapacité à assimiler l’innovation, accepter la différence, assumer le progrès, participer à sa contemporanéité. La DS 5 n’est pas un succès.
Autre concept-car qui a débouché sur un modèle de série : C-Cactus, en 2007. Un nouvel éloge de la frugalité avec son habitacle dépouillé, mais la C4 Cactus de série, sortie en mars 2014, s’abandonnera hélas à plus de sophistication.
Aujourd’hui, la C3 est la Citroën la plus vendue de la gamme, elle occupe la troisième place du marché français. C’est aussi la moins originale… CQFD.
Tout le monde admire la 2 CV et la DS, mais elles n’ont jamais été copiées. Le Français est désespérant de conformisme.
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