Crise des semi-conducteurs: peut-on encore acheter une voiture neuve ?
Chez certains constructeurs, la crise des semi-conducteurs porte à près d'un an le délai d'attente pour une voiture neuve. Et d'après certains spécialistes, la situation ne s'améliorera pas avant 2023.
« Vous voulez vraiment qu’on parle des délais de livraison ? », m’interroge d’un air las cette commerciale Renault auprès de qui je me suis présenté comme un client potentiel. « Pour une Arkana comme celle qui est à côté de moi dans le show-room, c’est pour avril-mai 2022 au mieux. Et je ne parle pas de la version hybride, mais d’un moteur essence classique. Idem pour la Clio. Là, par exemple, on peut livrer certaines versions à condition de faire l’impasse sur les rétroviseurs rabattables électriquement, qu’on propose de monter par la suite, mais sans savoir quand… Il y a quelques jours, j’ai raté une vente pour un Duster orange, la version restylée, parce que j’annonçais une livraison en avril-mai. Certains clients ne veulent pas attendre… »
Même constatation dans la concession VW située à un jet de pierre, elle aussi interrogée de façon anonyme : « aujourd’hui, on ne travaille que sur des modèles déjà en réserve dans le réseau. Il y a des Golf 8 qu’on a commandé pour le stock de la concession, et qu’on recevra au mieux au mois de juin 2022. Et ça peut encore changer. Là, si c’est une ID.3 qui vous intéresse, on ne pourra partir que sur une version un peu haut de gamme déjà disponible. L’offre à 219 € par mois ? Oubliez-la, on n’a aucune voiture qui correspond ! »
La pénurie de semi-conducteurs, éléments vitaux dans l’automobile moderne (et ailleurs), entraîne de considérables retards de production qui n’épargnent aucun constructeur, du low-cost au premium. Ces éléments se retrouvent partout dans les voitures, aussi bien dans les calculateurs qui permettent d’optimiser la consommation de carburant que dans ceux qui gèrent les diverses assistances à la conduite.
Visez le stock !
Le groupe Stellantis joue la parfaite transparence sur ses délais de livraison, et il y a de quoi frémir. Chez Peugeot il faut patienter entre 13 semaines sur une 108 et 52 (oui, un an !) sur le ludospace Rifter. A l’heure où nous publions cet article, la 208, star des ventes en France, vous fera danser pendant 22 semaines minimum ! Seule alternative, viser un véhicule déjà en stock.
Il serait vain de menacer le commercial Peugeot d’aller voir ailleurs s’il ne vous trouve pas la perle rare plus rapidement, car tous les constructeurs sont logés à la même enseigne.
Compter jusqu’à 12 semaines pour la Citroën C3 Aircross, tout comme pour la récente Citroën C4. Selon les motorisations, le C5 Aircross se fait attendre entre 7 et 13 semaines, et le Berlingo 9 de plus…au mieux, sachant que les estimations varient chaque semaine, et pas dans le bon sens.
Les clients Mercedes sont (un peu) moins malheureux, avec des délais oscillant entre 3 et 6 mois selon les modèles. « Et on ne livre pas tant que les voitures ne sont pas complètes. Ce que certains généralistes proposent ne fait pas partie des pratiques dans le haut de gamme. Ceci dit, c’est au concessionnaire de s’adapter en fonction du client… », précise un représentant de la marque sous couvert d’anonymat. « Ce qui est terrible, c’est que les gens se sont constitués des réserves d’argent au fil des confinements, ils ont envie de reconsommer, et on est obligés de les faire attendre. C’est très frustrant pour tout le monde, même si on parvient encore à éviter les annulations de commande. On risque de souffrir côté volumes cette année, mais si 2022 repart bien, ce sera spectaculaire !»
Chez BMW, le constat est - un peu - plus engageant « pour le moment, l’impact n’est pas énorme et nos immatriculations gardent une tendance très positive. Après, avec un portefeuille de 35 carrosseries, il est possible que certains modèles souffrent un peu plus que d’autres. Alors qu’il faut compter 2 à 4 mois en temps normal sur la moyenne de la gamme, on passera parfois à 5 mois sur certaines versions avec certaines motorisations. Ce n’est donc pas encore très impactant, même si on se garde bien de fanfaronner car on sait que cela peut bouger rapidement. »
Au mois d’août, Nicolas Peter, Directeur financier du groupe allemand, expliquait d’ailleurs que l’entreprise pouvait surmonter cette crise « au prix d’un travail acharné », tout en reconnaissant que « plus les goulets d'étranglement perdureraient, et plus la situation risquait de devenir tendue. » Or, les constructeurs estiment qu’il est illusoire d’espérer un retour à la normale avant 2023.
Reste que les signaux d’alertes se multiplient ces derniers temps. Fin septembre, le cabinet de conseil en stratégie AlixPartners estimait que la pénurie réduirait la production mondiale de véhicules de 7,7 millions cette année (pour mémoire, 77,9 million de véhicules à moteur ont été produits en 2020), chiffre doublé par rapport à sa précédente prévision datant du mois de mai ! Cela pourrait se traduire par un manque à gagner de 210 milliards de dollars (180 milliards d'euros) pour l'industrie automobile mondiale.
De plus les perspectives ne sont guère réjouissantes avec des confinements dans des pays comme la Malaisie au début de l’été, à quoi s’ajoutent des problèmes dans d’autres pays d’Asie où sont produits les chips, mais aussi les pénuries d’acier et la hausse du prix des matières premières. L’automobile, sur le point de se réinventer entièrement à travers l’électrification de masse, traverse ainsi l’une des phases les plus délicates de son histoire.
3 questions à…
Laurent Petizon, Directeur associé du cabinet AlixPartners à Paris, spécialiste du secteur automobile.
Quelles sont les perspectives en matière de production et de disponibilité des voitures ?
La situation à la rentrée est pire qu’avant les vacances scolaires, et nous ne prévoyons pas d’amélioration avant le dernier quadrimestre 2022. Il faudra deux ans pour que les capacités de production de chips (les semi-conducteurs, NDLR) retrouvent un cycle normal, et ce sera même probablement plus long. Sachant que l’industrie auto n’utilise pas les gammes de semi-conducteurs les plus fines, qui sont les plus rentables pour les fabricants, elle ne sera pas forcément prioritaire. D’autant que les fournisseurs ont souffert de l’effet « stop&go » de la production auto, avec des usines parfois longtemps à l’arrêt. Cela a eu des conséquences néfastes sur l’ensemble de la chaîne de production de chips.
Les constructeurs premium sont-ils plus ou moins impactés par cette crise ?
Les véhicules premium utilisent des volumes plus élevés d’électronique, les marges sont alors plus intéressantes pour les fournisseurs. Par contre, on parle de crise des semi-conducteurs dans l’automobile, mais cela concerne aussi les cartes de crédit, les cartes SIM des téléphones, les cartes Vitales. Tout le monde est en concurrence sur les chips !
Quels conseils peut-on donner à un automobiliste en phase d’achat ?
Si vous visez un véhicule neuf sur commande, attendez-vous à un délai d’attente assez long. On va d’abord vous annoncer 6 mois, puis 8 mois, 10 mois, voire davantage… Mon conseil : soyez moins exigeant sur les spécifications, faites l’impasse sur certains équipements, ou visez un véhicule en stock.
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