La France roule mal, et ça freine l’emploi
Pour un tiers des Français, il a fallu renoncer à un poste nécessitant de traverser bien plus qu’une rue pour s’y rendre. Preuve que la mobilité est un enjeu économique essentiel, mais coûteux.

À l'approche de la conférence Ambition France Transports, un sondage Harris Interactive révèle que les Français plébiscitent surtout la voiture et la marche comme principaux modes de déplacement, tandis que la mobilité influence fortement l’emploi, un tiers des Français ayant déjà renoncé à une opportunité professionnelle faute de solutions de transport.
Les Français expriment de fortes attentes en matière d’investissement dans les infrastructures, en particulier dans les routes nationales et départementales (64 %), les voies ferrées (56 %), les transports collectifs (plus de 80 %) et les infrastructures écologiques (85 %). Le transport de marchandises par train est considéré comme prioritaire par 52 % des sondés.
Concernant les autoroutes, elles sont jugées globalement satisfaisantes. 58 % des Français préfèrent leur financement par péage, plutôt que par l’impôt. Ils sont également favorables à ce que les péages financent des améliorations sur les aires d’autoroute (88 %), la sécurité (87 %) et même d’autres réseaux comme le ferroviaire (78 %).
Mais où en sommes-nous vraiment dans ces infrastructures et solutions de mobilité ?
Un réseau routier public qui a sombré en 12 ans seulement, faute de maintenance
Le réseau routier français est vaste (plus d’un million de kilomètres tous gestionnaires confondus) et comprend notamment environ 12 000 km de routes nationales et autoroutes sous responsabilité de l’État. Mais près de 20 % du réseau routier national non concédé est considéré en mauvais état d’après le rapport 2023 de l’Observatoire national de la route.
La France est passée du 1er rang mondial il y a une douzaine d’années à la 18e place pour la qualité des infrastructures routières selon le Forum économique mondial.
C’est lié à un sous entretien entre 2000 et 2010. Un audit en 2018 a mis en évidence que 7 % des routes nationales nécessitaient des réparations structurelles urgentes, et 35 % présentaient une chaussée dégradée.
En réaction, l’État a augmenté progressivement ses investissements routiers. Les dépenses annuelles d’entretien du réseau routier national non concédé ont atteint 532 millions d’euros en 2023, soit +47 % par rapport à 2013. C’est beaucoup, mais sans cela, ce serait pire et ça coûterait donc beaucoup plus. On appelle cela « la dette grise », c’est-à-dire le coût de maintenance lié au retard accumulé sur la maintenance qui aurait dû être faite.
Le hic, c’est que la Cour des comptes vise une augmentation du budget pour adapter les routes au changement climatique (vague de chaleur, fortes pluies).
Les autoroutes concédées, exploitées par des sociétés privées via des partenariats de long terme, sont en meilleur état moyen (taux de chaussées dégradées plus faible) grâce à un entretien financé par les péages. Mais la gestion du budget investi dans l’entretien est pointée du doigt pour être minimale, avec une vision de rentabilité maximale de la part des sociétés d’autoroute (Vinci Autoroutes, APRR-AREA, Sanef, etc.). Principalement en relation aux bénéfices réalisés.
Le réseau ferroviaire dont le manque de budget affecte les petites lignes
Parler de vélos et de trottinettes, c’est bien, mais très urbano-centré. Dans le rural, c’est plus compliqué et les habitants doivent emprunter des lignes de trains pour rejoindre les métropoles où se trouve l’emploi.
Notez qu’avec 76,1 % de cet emploi dans le tertiaire (source INSEE), il est tout de même étrange de continuer de demander à des millions de personnes de se déplacer quotidiennement, aux mêmes horaires, dans les mêmes endroits financièrement inaccessibles en matière de logement. Mais ce n’est pas la question ici.
Avec 28 000 km de lignes, dont 2 800 km à grande vitesse, la France détient le deuxième réseau ferroviaire d’Europe. Longtemps centré sur le TGV, le réseau classique a souffert d’un sous-investissement, affectant les petites lignes régionales.
Malheureusement, l’entretien des voies ferrées est onéreux et ce sont ces petites lignes, primordiales pour l’emploi des ruraux, qui trinquent. Mais tout n’est pas perdu.
Pour y remédier, les investissements annuels sont passés de 2,6 à 3,5 milliards d’euros entre 2017 et 2022, avec un objectif de 4,5 milliards. Huit accords État-régions visent la régénération de 6 300 km de lignes jugées essentielles. En parallèle, de grands projets progressent, comme les LGV Bordeaux – Toulouse, Provence Côte d’Azur, et le tunnel Lyon-Turin, bien que leur réalisation s’échelonne jusqu’après 2030.
À une échelle plus centrée sur les petites, moyennes et grandes couronnes, les choses sont en phase d’amélioration, voire d’optimisation, malgré un flux toujours plus important.
Les réseaux de transports en commun se sont ainsi largement développés, surtout en Île-de-France avec les extensions de métro et le projet du Grand Paris Express (200 km de lignes, 35 milliards d’euros). En régions, plus de 30 villes disposent désormais de tramways modernes. Rennes a lancé une 2ᵉ ligne de métro en 2022, et Toulouse construit une 3ᵉ ligne automatique et met en place un RER métropolitain. Cependant, l’offre reste inégale : les grandes agglomérations sont bien desservies, mais les zones rurales souffrent d’un manque d’alternatives à la voiture.
Politiques publiques et investissements : 100 milliards en 15 ans
Le « Plan d’avenir pour les transports » (2023) prévoit 100 milliards d’euros d’ici 2040, prioritairement pour le ferroviaire, les RER métropolitains, le fret et les trains de nuit. Les CPER 2023-2027 mobilisent 8,6 milliards supplémentaires, dont 800 millions pour les RER et 500 millions pour le fret. Des fonds sont aussi alloués à l’accessibilité des gares, aux tramways et BHNS. Côté routier, l’État concentre ses moyens sur l’entretien et quelques projets controversés comme l’A69 ou le contournement de Rouen. Enfin, controversés, car inutiles et donc mauvais pour les uns et nécessaires et par conséquent indispensables pour les autres. Ces programmes visent à relier rapidement différentes zones rurales aux métropoles, en gérant un grand flux de véhicules.
Transition écologique des mobilités : un pas en avant et un en arrière
Responsables de 30 % des émissions de GES en France, les transports sont au cœur des objectifs climatiques. La France mise sur la décarbonation via l’électrification du parc automobile (1,1 million de véhicules électriques en 2024), le développement de bornes (100 000 en 2022, objectif : 400 000 en 2030), et des alternatives comme les poids-lourds à hydrogène ou les bus propres.
Le report modal est aussi clé : doublement de la part du fret ferroviaire, retour des trains de nuit, plan vélo, et généralisation des ZFE dans les villes de plus de 150 000 habitants.
Malheureusement, la position de l’automobile en France est complexe. Le parc automobile français est l’un des plus vieux d’Europe, le coût des automobiles paraît désormais bien plus élevé et le marché est flou. D’un côté, la promotion de l’électrique à outrance passe sous silence la complication d’installation de bornes à domicile, élément clé de l’acceptation de la voiture électrique. De l’autre, le gouvernement, qui a misé sur une politique de subvention (et donc faussé le marché) ferme toutes les vannes une par une, créant une incompréhension. Enfin, le coût de la recharge sur borne publique a explosé. Il faut jouer avec les abonnements et les opérateurs pour ne pas se retrouver à payer plus cher que pour un équivalent en voiture thermique. Difficile de faire adopter de nouvelles habitudes, d’autant que la voiture électrique n’est toujours pas capable d’être un équivalent total au thermique (mais s’en rapproche avec les charges ultrarapides et le déploiement des infrastructures).
Le vélo et, avec lui, la mobilité dite « douce » ont également droit à des réactions gouvernementales bipolaires. Le Plan Vélo a été arrêté. Un plan qui ne visait pas simplement le vélo, mais également la piétonnisation et… la marche. Ce fameux moyen de déplacement préféré des Français. Sécuriser les piétons a un coût sans réel ROI direct. Pourtant, la marche est bonne pour la santé et le mental. Le vélo également. Se traîner dans les bouchons en voiture ou être compressé dans un wagon aux heures de pointe l’est beaucoup moins.
Dès lors, les Français peinent à suivre et préfèrent rester sur leurs habitudes, qui fonctionnent pour le moment.
Financement des infrastructures
Le financement repose sur un panachage de budgets publics, péages et partenariats. En 2023, 73,3 milliards d’euros ont été dépensés (2,6 % du PIB), dont deux tiers par les collectivités. L’État concentre ses efforts sur le rail (19,5 Md€), avec des investissements via l’AFITF doublés en 7 ans. Les péages autoroutiers (environ 10 Md€/an) financent l’entretien des autoroutes concédées. Une nouvelle taxe sur les concessions (600 M€/an) finance désormais la transition écologique. Des recettes fiscales (TICPE, Versement Mobilité, taxe sur les billets d’avion) complètent l’ensemble. Les partenariats public-privé (CDG Express, LGV Tours – Bordeaux…) et l’aide de l’UE permettent d’accélérer les projets.
Conclusion : la mobilité, levier ou barrière ?
La mobilité façonne nos vies bien plus qu’on ne l’imagine : elle conditionne l’accès à l’emploi, au logement, à la santé et, par voie de conséquence, à l’éducation des enfants.
Mais aujourd’hui, elle est encore trop souvent une contrainte, voire un luxe, selon le territoire où l’on vit. Le problème est moins l’investissement que maintenir les directions prises. Reste à découvrir les effets de tous les projets en cours.
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