Les 24H du Mans au temps de la bricole
Avant les barnums des grandes écuries plantés au bord de la piste, Porsche, Ford, Aston Martin et les autres, préparaient leurs autos de courses dans les petits garages du coin, dans les cours des hôtels de la région, et même dans des salles de bals. Pour valider leurs derniers règlages, pas question d'attendre des séances d'essais inexistantes. Les bolides roulaient sur des routes ouvertes, en pleine circulation et plus le plus grand bonheur des badauds. Visite guidée des coulisses du Mans d’avant.
C’était un temps déraisonnable. Une époque où les 24h du Mans n’étaient pas seulement au Mans. Ou les motor-homes géants, les paddocks ultra protégés qui abritent aujourd’hui les bolides venus se faire bichonner à l’ombre du circuit, n’existaient pas. Un temps ou les stands de la ligne droite permettaient uniquement les ravitaillements, les changements de pneus et de pilotes. Avant les années 80, les ingénieurs et mécaniciens Porsche, Ferrari, Maserati, Aston et autres Ford GT de course étaient déjà aux petits soins pour leurs engins. Mais ils les apprêtaient, les mécaniquaient et les règlaient ailleurs. Et parfois dans des endroits assez improbables. Faute de place.
Des Rondeau dans une salle de bal
Durant la semaine précédent la course, les garages du coin, les cours des hôtels où résidaient les staffs étaient investis. Et quand il ne restait plus le moindre abri, les teams managers se débrouillaient. « En 1978, j’avais carrément loué une salle de bal en ville où les mécanos préparaient les voitures » se souvient Jean-Michel Leroy, directeur de l’écurie Inaltera-Rondeau dans les années 70, avant de couvrir Le Mans comme journaliste pour Ouest-France pendant deux décennies. « Heureusement qu’il n’y avait pas de parquet ». Un dance floor incompatible avec les traces de pneus. Une fois les autos mises au point, pas question de les transporter sur de vulgaires camions–plateaux vers la piste. Les choix techniques et les derniers réglages étaient validés sur route ouverte. Pour le plus grand bonheur des Sarthois, au spectacle ces jours-là. L’une d’elle est une grande ligne droite, comparable à celle des Hunaudières. Elle est située entre le circuit et le village du Chartre-sur-le-Loire, à une quarantaine de kilomètres du Mans.
Champagne pour Jacky Ickx, Armagnac pour David Hobbs
Le village, et surtout son Hôtel de France, ont été investis dès les années 50 par le team Aston Martin. Et lorsque son boss, Dan Frey et trois de ses pilotes passent à l’ennemi, en l’occurrence Ford, le QG de la nouvelle équipe est tout trouvé. Des balbutiements de la première participation en 1964, jusqu’au triplé victorieux des Ford GT40 en 1966, et la trilogie de victoires qui s’en est suivi, le décor des préparatifs de l’épopée était planté dans cette commune de 1500 âmes. Pas seulement dans son auberge, mais aussi dans le tout petit garage Renault qui lui faisait face et qui n’en demandait pas tant.
Christophe Lefèvre se souvient de l’agent du Losange qui, pendant cette semaine, avait droit à des vacances. « Les Anglais et les Américains occupaient le garage et le patron et son équipe étaient priés d’aller voir ailleurs. » Ce qu’ils faisaient de bon gré, moyennant une inespérée rétribution. Les souvenirs de Christophe sont pourtant moins mécaniques qu’humains. Barman de l’hôtel de la Poste depuis plus de 30 ans, il a connu les petits plaisirs des grands pilotes. « Le champagne pour Jacky Ickx », sextuple vainqueur du Mans, « et l’Armagnac pour David Hobbs ». Le pilote anglais a participé 5 fois à l’épreuve de 1969 à 1988 et a découvert l’élixir du Sud-Ouest à La Chartre. « Je me souviens de soirées fort tardives, et de matinées fort matinales ou il en dégustait encore. Ce qui ne l’empêchait pas d’être sur la grille pour le premier relais à 15h le jour même » Et de figurer systématiquement dans les cinq premiers du classement.
Pas de toilettes pour Porsche
Ce goût de la fête, et du risque, d’autres écuries l’ont exercé ailleurs. Et chaque marque a laissé sa marque dans ce coin de la Sarthe ou elle revenait chaque année. Comme Porsche à Teloché, une commune situé à quelques encablures du Mans, près du virage de Mulsanne. C’est encore dans un minuscule garage que l’écurie a établit son quartier général pendant plus de trente ans. Un atelier tellement petit, celui de Jojo (Georges Desprès pour l’état-civil), qu’il ne disposait même pas de toilettes. Les voisins prêtaient évidemment leurs WC de bon cœur aux Allemands et voyaient défiler chez eux Ferry Porsche et les meilleurs ingénieurs de Zuffenhausen.
Le souvenir du Mans d'avant
Aujourd’hui, le constructeur allemand dispose d’un immeuble de 2 600m2, le Porsche Experience Center, aux abords du circuit accueille l'armada qui veut cette année encore en remontrer au cousin Audi. Ford, de retour avec une toute nouvelle GT officie depuis une semaine sous un immense barnum près de la piste. A Téloché, les garages disposent de toutes les commodités et au Mans, les salles de bal sont fermées.
L'hôtel de France aujourd'hui
Mais au Chartre-Sur-Le-Loir, le culte perdure. Les anciens pilotes, dont Jacky Ickx, reviennent chaque année. Pour s’accouder une fois encore au bar de Christophe et se souvenir une fois encore du Mans d’avant. D’un temps de la bricole et de la débrouille. D’un temps ou la course était à hauteur d’homme, pas à celle des lourdes organisations.
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