Les breaks de chasse, ces splendeurs oubliées
Stéphane Schlesinger , mis à jour
Associant élégamment grâce, sportivité et praticité, les breaks de chasse ont pourtant totalement déserté la production actuelle, ou presque. Leur finesse est peut-être obscène dans une époque obsédée par les SUV…
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai rien contre les SUV, dont les aspects pratiques sont indiscutables. Mais je pense plutôt que la majorité de la clientèle les plébiscite car ils la rassurent tout en véhiculant une idée d'évasion. Ils sont le reflet de leur époque, tiraillée entre le désir de loisirs et… la peur ! Mais ça n’a pas toujours été le cas.
On a aimé les voitures criardes, dans les années 50-60, car on s’inspirait des USA, on a aimé les coupés dans les seventies, les GTI dans la décennie suivante, puis les monospaces et enfin les SUV. Cela dit, en marge de tous ces types de voiture, quelques esthètes ont plébiscité des breaks bien particuliers, les breaks de chasse. Des autos à la fois sportives et pratiques, élégantes et logeables, multifonctions et exclusives. Idéales pour se distinguer, mais toujours avec classe !
Dénommées « shooting brake » en anglais, les breaks de chasse ont commencé à se développer dans les années 50 outre-Manche, en se destinant d'abord à une clientèle fortunée. La première à être créée par un constructeur et non un bricoleur talentueux serait la P2 Safari de chez Allard, une marque britannique de voitures de sport très efficaces. Apparue en 1951, elle a été produite jusqu’en 1954 à… 13 exemplaires. Elle n’a guère connu de succès malheureusement.
La catégorie naissante connaît un sérieux coup de fouet grâce à Chevrolet qui, en 1955, dévoile une version break deux portes plutôt chic de sa Bel-Air, la Nomad. Sa vocation est aux loisirs sportifs et non aux tâches ingrates, comme en témoignent sa décoration soignée, sa motorisation musclée et sa publicité mettant en scène un amateur de golf plaçant les clubs dans son coffre. Un peu plus de 20 000 unités seront produites jusqu’en 1957, ce qui n’incitera pas GM à perpétuer le concept.
Pendant ce temps, en Europe, on ignore encore la grande série pour les breaks de chasse, qui demeurent ultra-exclusifs. Aston Martin approche la catégorie avec sa DB2-4 de 1953, mais sa lunette arrière ouvrante ne dégage pas assez d’espace pour réellement être pratique. Le carrossier Radford, en 1963, dévoile une version break de chasse de la mythique DB5, mais 12 unités seulement sortiront de ses ateliers. Décidément, la formule ne prend pas !
Sa démocratisation connaîtra un début avec Reliant en 1968 : il révèle sa Scimitar GTE, relativement abordable et fabuleusement bien dessinée par Ogle. Son 6-cylindres Ford l’emmène à près de 200 km/h, ce qui ne gâche rien. Cette fois, plusieurs centaines d’unités seront vendues chaque année. La princesse Margaret en raffolera !
Cela dit, la popularisation du shooting brake européen revient à Volvo, qui présente sa P1800 ES en 1971. Solide, bien motorisée avec son increvable 2,0 l à injection de 125 ch, rapide et élégante, elle est très désirable ! 8 078 unités seront vendues jusqu’en 1973, surtout aux USA, malgré une technologie globalement ancienne.
C’est plus que pour la très originale Lotus Elite de 1974, nettement plus sportive avec son 2,0 l double arbre à 16 soupapes (160 ch) qui lui fait passer les 200 km/h. Ses projecteurs « pop-up » ajoutent à son caractère exotique, mais sa qualité insuffisante et son prix élevé joueront contre elle.
Les années 70 sont décidément celles des breaks de chasse puisque Jensen présente en 1975 une variante GT de la Jensen-Healey qui se vend mal, à cause notamment de son fragile moteur Lotus (proche de celui de l’Elite). Malgré son concept, la Jensen GT n’aura pas plus de succès, puisque moins de 500 seront produites.
Seulement, cette année-là, c’est au tour de Lancia de présenter son break de chasse : la Beta HPE (High Performance Estate). Cette fois, c’est la bonne. Produite par un constructeur de grande série, la HPE bénéficie d’une technologie de haut niveau (moteurs double-arbre, traction, liaisons au sol très soignées) et d’une ligne on ne peut plus charmeuse. Surtout, son coffre se révèle très bien conçu : vrai hayon (et non simple lunette ouvrante), seuil bas, banquette rabattable, importante longueur de chargement. Pratique, performante et raffinée, la Beta HPE sera commercialisée jusqu’en 1984, bénéficiant même en 1982 d’un compresseur Volumex boostant la puissance de son 2,0 l à 135 ch. Plus de 70 000 unités seront produites. Seulement, après elle… plus rien ne sortira durant la décennie 70 !
On devra attendre 1985 pour qu’un autre grand généraliste présente un break de chasse qui, lui aussi, se révèle particulièrement goûteux : Honda, avec l’Accord Aerodeck. Le japonais s’est fendu de magnifiques trains roulants à double triangulation avant/arrière qui feront école ainsi que d’un hayon qui empiète élégamment sur le toit pour agrandir l'accès au coffre. Malheureusement, celui-ci manque d’ampleur et pâtit d'un seuil trop haut, donc l’auto ne trouve pas vraiment son public. Elle est retirée en 1989.
Que reste-t-il aux amateurs du genre ? La Volvo 480 ES, lancée, elle aussi, en 1985. Nantie d’une ligne ultramoderne et pourtant aguicheuse avec ses phares pop-up, elle demeure cependant banale d’un point de vue technique, récupérant le 1,7 l inauguré par la Renault 11 et se contentant d'un essieu arrière rigide. Néanmoins, la suédoise fabriquée aux Pays-Bas se vendra à plus de 75 000 exemplaires jusqu’en 1995, non sans avoir bénéficié d’un turbo. Volvo ne la remplacera malheureusement pas.
Pour s'offrir un break de chasse, à condition d’être fortuné, on pourra toujours faire convertir une Jaguar XJ-S d’occasion chez Lynx, qui propose le sublime shooting brake Eventer, peut-être le plus beau jamais dessiné !
Davantage en tout cas que la Aston Martin Virage Shooting Brake, alléchante mais lourde, aux feux arrière de Renault 21 Nevada. Six seulement seront produits entre 1989 et 1995…
Ensuite ? Eh bien ce sera le calme plat chez les breaks de chasse. La BMW Z3 Coupé ? Elle ne comporte que deux places et se satisfait d’un coffre réduit. On peut toutefois citer la Mini R56 Clubman de 2006, sorte de version break de la Mini Coach. Très stylée, elle dissimule une porte latérale à ouverture antagoniste, côté droit. Une petite auto diablement intéressante pour les esthètes !
Le dernier à présenter un break de chasse sera Ferrari en 2011 avec sa très originale FF à quatre roues motrices. Plus décalée que réellement élégante, elle propose un très savoureux mix de prestige, de performances exceptionnelles (elle a un fabuleux V12 de 660 ch) et de praticité. Elle sera remplacée en 2016 par la GTC4 Lusso, qui en est une évolution.
Celle-ci vient de céder sa place à devinez quoi ? Un SUV, le Purosangue, certes magnifiquement dessiné. Et toujours nanti d’un incroyable V12 atmo ! Mais pour qui veut un vrai break de chasse, il n’y a plus rien, même si Mercedes nomme Shooting Brake sa CLA break. Mais avec ses cinq portes, elle ne correspond pas exactement au genre…
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