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Les lobbys ont eu la peau de Nicolas Hulot, quid de celui de l’auto ?

Dans Economie / Politique / Politique

Michel Holtz

Accusés d’avoir provoqué la démission du ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, les lobbys sont plus que jamais montrés du doigt. Mais celui de l’automobile, souvent désigné coupable, est curieusement absent de la polémique du moment. Et si la rivalité entre constructeurs, entre équipementiers et entre pays européens était l’une des causes de leur perte de pouvoir ? Enquête.

Les lobbys ont eu la peau de Nicolas Hulot, quid de celui de l’auto ?

On leur reproche d’avoir eu la peau, ou plutôt le portefeuille ministériel, de Nicolas Hulot. Les lobbys des chasseurs, de l’agroalimentaire et du nucléaire réunis auraient donc poussé le ministre vert à abdiquer en direct sur France Inter, la semaine passée.

En démissionnant, en direct sur Frabce Inter, Nicolas Hulot a dénoncé les lobbys
En démissionnant, en direct sur France Inter, Nicolas Hulot a dénoncé les lobbys qui l'auraient empêché de mener sa mission

Mais parmi ces lobbys tout-puissants, défaiseurs de ministres et faiseurs de loi pour leur seul compte, celui de l’automobile est souvent évoqué, même s’il n’est pas mis en cause par Nicolas Hulot et par les (nombreux) analystes de son coup d’éclat. Pourtant, on le soupçonne de tous les maux. Il influencerait la politique de Bruxelles en matière de normes d’homologation, freinerait tout progrès en matière de dépollution des villes et, tant qu’à faire, se battrait pour maintenir la prédominance du diesel. La maire de Paris, Anne Hidalgo l’a même déclaré sans prendre de pinces (à vélo) : « j’ai été menacée par le lobby automobile ». Et selon une enquête de 2014 réalisée pour la chaîne LCP, 18 millions d’euros auraient déjà été dépensés pour influencer les pouvoirs publics européens. À Bruxelles, 40 personnes seraient employées à l’année par la filière automobile pour tenter d’infléchir les politiques publiques.

Un lobby qui fait pschitt ?

Mais curieusement absent dans l’affaire Hulot, puisqu'il n'a pas empèché le ministre de la transition écologique de durcir le malus automobile et d'augmenter les taxes sur les carburants, il ne semble pas avoir pas non plus avoir réussi à contrecarrer les dernières mesures prises par nombre de villes européennes qui rejettent l’automobile. En France, les 80 km/h sont en place depuis le début de l’été. Quant aux normes d’homologation, elles n’ont jamais été aussi proches de la réalité. Une réalité qui pose quelques soucis aux constructeurs ces temps-ci.

Des lobbyistes pas vraiment masqués

A priori, le résultat de ce lobbying acharné est aussi maigre qu’un automobiliste au régime, après avoir calculé son budget auto annuel. Les constructeurs auraient-ils lâché l’affaire ? Les lobbyistes auraient-ils perdu la partie ? Nous leur avons posé la question. Surtout, nous avons tenté de mettre des noms, et des visages, sur ce fameux lobby. Et, surprise, il n’est pas constitué d’une armée des ombres, ni de personnages mystérieux, visiteurs du soir des cabinets ministériels et adeptes des déjeuners secrets dans les restaurants proches de l’Assemblée.

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Nos lobbyistes sont connus, parfois même du grand public, et disposent, pour leurs agissements, d’une adresse qui a pignon sur rue. Une rue qui se situe à une encablure de la place de l’Étoile à Paris, siège du CCFA (Comité des constructeurs français d’automobile), qui héberge également la FIEV (Fédération des industries des équipements pour véhicules), et la Plateforme automobile. Le premier représente les constructeurs, le deuxième agit pour les équipementiers et la dernière regroupe tout ce petit monde. Une multiplicité d'organismes qui essaient d'agir. Au sein même du CCFA, d'ailleurs, une fonction de "chargée des affaires parlementaires" existe. Elle est occupée par une certaine Louise d'Harcourt qui, en d'autres temps, était intervenue dans l'affaire des faux espions chinois qui avait secoué la direction de Renault. Nul doute qu'elle travaille en étroites relations avec le groupe d'études sur les véhicules terrestres de l'Assemblée Nationale, au sein duquel planchent 24 parlementaires.

Une concurrence qui nuit à la cohérence

Lobbyistes, les responsables de ces organisations le sont donc et le revendiquent, sans aucune honte. François Roudier, directeur de la communication du CCFA, explique clairement son travail. « Nous sommes un iceberg : on nous voit dans les médias, mais sous cette partie immergée, il y a nos statistiques et nos études, qui justifient nos positions destinées à convaincre les politiques d’infléchir leurs décisions."

Jacques Mauge, président de la Fiev, ne dit pas autre chose. Il représente les équipementiers, dont quelques entreprises françaises qui sont aussi des poids lourds mondiaux, comme Faurecia, Valeo et Plastic Omnium. Mais lorsqu’il explique que ses adhérents « ont parfois des divergences avec les constructeurs », qu’il laisse entendre que les négociations sont parfois tendues, il touche peut-être le cœur du problème de ce qui peut apparaître comme un échec de ce lobbying pour certains, et d’une victoire des pouvoirs publics pour les autres. Du coup, François Roudier sourit quand on évoque devant lui la toute-puissance du lobby dont il est partie intégrante. Car non seulement les positions divergent entre les constructeurs et les équipementiers, mais elles ne sont pas non plus alignées entre les constructeurs eux-mêmes. « En ce qui concerne la sécurité, par exemple, c’est un argument commercial pour chaque marque ». Difficile dans ce cas de trouver une position commune.

Les faces avant actuelles (ici celle d'une Renault Clio) protègent les piétons plus efficacement que leurs ancètres, grâce à une action commune du Lab qui regroupe Renault et PSA
Les faces avant actuelles (ici celle d'une Renault Clio) protègent les piétons plus efficacement que leurs ancètres, grâce à une action commune du Lab qui regroupe Renault et PSA

Mais il se souvient néanmoins de quelques points de convergence. « On a des résultats lorsque tout le monde travaille ensemble, comme c’est le cas au Lab, une entité de recherche commune entre PSA et Renault ». Un regroupement de compétences qui a notamment abouti, après de nombreux travaux sur les chocs avec les piétons, à la mise en place normalisée et obligatoire des faces avant des autos d’aujourd’hui, et de leurs systèmes de protection en cas de crashs.

Cap sur l’Europe

Évidemment, ces guéguerres franco-françaises limitent l’action de nos lobbyistes dans l’Hexagone. Mais, comme l’avoue le porte-parole du CCFA, « lorsque l’on est face à des politiques qui ont d'autres préoccupations que l'automobile, on ne peut pas intervenir ». Un constat qui est évidemment lié aux décisions nationales sur les 80 km/h, ou à la guerre contre la voiture à Paris.

Mais pour les lobbyistes de l’automobile, le terrain de jeu primordial est en Belgique. Jacques Mauge avoue qu’au sein de l’organisme européen auquel adhère la Fiev, le Clepa, qui réunit les différentes fédérations d’équipementiers du Vieux continent, « ce sont plusieurs dizaines de personnes qui sont proches de la Commission européenne ». Même constat pour l'Acea, qui regroupe les constructeurs de l’Union, et dont le président actuel n’est autre que Carlos Tavarès. Sauf que, au sein de ces entités internationales, d’autres rivalités peuvent en limiter les actions. Notamment au sein des constructeurs réunis, principalement Français et Allemands. Des relations et des discussions entre marques hexagonales et germaniques que François Roudier, féru de diplomatie, qualifie de « franches et cordiales ». Ce qui, en langage Quai d’Orsay, est synonyme de « houleuses mais ponctuées par un accord final ». Mais parfois, tout ce petit monde parvient à s'entendre et à exercer quelques pressions. ce que l'ACEA tente de faire, àpr avoir appris, il y a quelques jours, que la comission "Environnement" du Parlement souhaitait mettre en place une réduction de 50%, pas moins, pour les automobiles en 2030. L'organisation s'en est donc allée dénoncer une "marche forcée dispropotionnée", sans oublier de livrer aux membres de la commission quelques chiffres. Et de leur signifier que l'emploi dans l'automobile représente 11% des jobs de l'industrie manufacturière en Europe et pas moins de de 20% dans 14 de ses pays. Ce bon vieux chantage à l'emploi n'a pas fini de servir.

Vers une action plus œcuménique

Pour tenter de calmer les ego et de ne parler que d’une seule voix, les différents protagonistes du grand lobby automobile ont réanimé une très ancienne entité censée les représenter tous mais qui, depuis quelques années, n’était plus très audible. L’idée est de confier cette « Plateforme automobile », c’est son nom, à une star qui a l’oreille des politiques. Et qui de mieux qu’un ancien ministre ? C’est ainsi que, depuis fin 2017, Luc Chatel, ex-ministre de l’éducation du gouvernement Fillon, a endossé le costume de président de la Plateforme. Un lobbyiste en chef qui ne devrait pas avoir de mal à être écouté par ses ex-collègues du monde politique. Toutefois, pour réussir sa mission, il ne devra pas seulement être écouté, mais entendu.

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