Enquête - Voitures autonomes: comment la France appuie sur l'accélérateur
Les pouvoirs publics ont dévoilé un plan de développement des technologies de conduite autonome, dans l'intention de faire de notre pays un leader mondial dans le domaine. Les objectifs sont ambitieux et les industriels pleinement engagés. Reste un obstacle à lever, et non des moindres: les réticences des Français.
Qui a dit que la voiture autonome n’intéressait personne ? Lundi 14 mai après-midi, lors de la présentation du rapport gouvernemental sur la question organisée dans un amphithéâtre au Ministère de l’écologie, trouver une place assise relevait de la gageure. Deux heures durant, se sont notamment succédé à la tribune le ministre de l’économie Bruno le Maire, la ministre des transports Elisabeth Borne, le secrétaire d’Etat chargé du numérique Mounir Mahjoubi, ainsi que la Haute responsable pour la stratégie du développement des véhicules autonomes Anne-Marie Idrac. Le ministère de l’Intérieur était quant à lui représenté par Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière.
Du beau monde, donc, pour délivrer le message suivant : l’Etat s’engage très fortement pour le développement de la voiture autonome. Objectif : la circulation expérimentale de véhicules de niveau 4 sur une échelle de 5 (ce qui signifie que le conducteur peut totalement lâcher les commandes dans la plupart des situations), à l’horizon 2022.
Bruno Le Maire, ouvrant la manifestation, résumera les enjeux en ces termes : « Nous sommes à l’aube d’une transformation technologique, et la question est simple : voulons-nous être dépendants des avancées réalisées par d’autres pays ? L’Etat fera le maximum pour que la voiture autonome puisse se développer, il faut prendre à bras le corps cette révolution pour garantir notre souveraineté technologique », avant de rappeler qu’avec ses constructeurs et équipementiers, auxquels s’ajoutent des opérateurs de la mobilité (Transdev, Navia, Keolis…), la France dispose de tous les atouts nécessaires pour s’imposer. « Ça se joue maintenant ! », résume Bruno Le Maire.
Et quand on dit maintenant, c’est…vraiment maintenant, puisque l’encadrement des tests et les questions de responsabilité morale et civile que posent le thème de la voiture autonome constitueront l’un des volets de la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), dont Bruno Le Maire vise l'adoption fin 2018 : « la loi Pacte prévoira que les expérimentations sur routes ouvertes seront possibles sur tout le territoire français jusqu’au niveau 5 d’autonomie, c’est-à-dire en l’absence de tout conducteur. »
Des tests facilités
Pour les industriels, ce soutien des pouvoirs publics, annoncé dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron, est une véritable aubaine : « cela signifie notamment pour nous que les tests routiers seront plus faciles à organiser, on va gagner du temps », se félicite un représentant de l’équipementier Valeo, l’un des leaders du secteur, qui fournit tous les constructeurs automobiles ou presque. Rappelons que la France a délivré 54 autorisations d’immatriculation pour des expérimentations de véhicules autonomes depuis la fin 2014, dont 23 au cours de la seule année 2017. Ces prototypes ont cumulé plus de 200 000 km de roulage, sans aucun incident à déplorer. Précisons toutefois qu’il n’en va pas de même partout, comme l'a récemment illustré le cas de cet accident mortel impliquant un prototype autonome Uber aux Etats-Unis, et pour lequel l’enquête poursuit son cours.
Parallèlement à ce soutien apporté aux activités de recherche et développement, il faudra pour les pouvoirs publics s’intéresser aux multiples questions que soulève le développement des voitures autonomes, et notamment celles-ci : quelles sont les attentes réelles du public ? Quelle acceptabilité pour ces systèmes d’assistance ? Quelles conséquences pour l’emploi, avec des constructeurs contraints d’adapter leur outil industriel à l’émergence concomitante des technologies électriques et autonomes ? Comment définir le régime de responsabilité en cas d’accident ? Et si l’échange de données d’un véhicule à l’autre ou entre un véhicule et l’infrastructure routière peut constituer un véritable avancée en matière de sécurité routière, quid de la protection des données personnelles dans un environnement ultra-connecté ? Enfin, comment se prémunir des risques de piratage ? Ce dernier point préoccupe particulièrement les industriels : « les points d’accès à un véhicule constituent autant de risques en matière de sécurité. Si une faiblesse affecte des millions d’exemplaires d’un modèle, cela va immédiatement susciter l’intérêt des hackers et cela représente un grand risque », s’inquiète ainsi Mark Greven, Directeur des affaires juridiques de l’Association des constructeurs automobiles européens (ACEA).
A ces questions très concrètes s’ajoute celle-ci, plus globale: quelle sera la place de l’automobile dans une offre globale de mobilité appelée à évoluer ? On le voit, l’émergence d’aides à la conduite toujours plus perfectionnées constitue une source inépuisable de défis pour les pouvoirs publics et les acteurs de l’automobile (au sens le plus large du terme).
Pour commencer à y répondre, les autorités s’apprêtent à lancer un appel à projet de 300 millions d’euros portant sur des expérimentations commercialisables. Sont concernés les véhicules particuliers, mais aussi des navettes de transport collectif, à l'image du taxi autonome Navya déjà testé par Caradisiac, ainsi que des engins de de logistique ou de fret.
Les choses bougent. Un exemple ? Valérie Pécresse, Présidente de la région Ile-de-France, a annoncé que des tests auraient lieu à partir de l’automne sur les autoroutes A1, A4, A6, A13, avec des voies (notamment des bandes d'arrêt d'urgence) dédiées à la circulation des modèles autonomes, et pour les aménagements desquelles la Région allouera un budget de 100 millions d’euros. Le but, selon les mots de l’élue, est en effet de « faire de l’Ile-de-France la première région mondiale de la conduite autonome », en mettant plus l'accent sur les transports en commun (navettes) que sur la voiture individuelle.
« Ce changement arrive plus vite que beaucoup de nos concitoyens ne le pensent. Ce serait une menace pour nos constructeurs si nous accusions un retard sur cette technologie » commente la ministre des transports Elisaberth Borne. Une déclaration qui fait écho à celle formulée par Thierry Bolloré, Directeur Délégué à la Compétitivité du Groupe Renault lors du dernier salon de Francfort :
« La façon dont nous utilisons nos véhicules est en train d’évoluer. D’ores et déjà une voiture n’est pas qu’un moyen de se déplacer d’un point A à un point B. Concentré de technologies, la voiture devient un espace interactif et personnalisé, qui connecte les occupants aux autres véhicules, aux personnes et aux objets qui les entourent. A l’horizon 2030, nous imaginons de nouveaux scénarios dans lesquels un usage plus efficient de l’énergie, la connectivité et les possibilités de conduite autonome amélioreront notre façon de vivre et de nous déplacer. »
Renault apparaît très offensif sur le sujet, accumulant notamment les kilomètres de tests sur route ouverte avec son démonstrateur Symbioz depuis l’automne dernier, mais aussi et surtout en investissant 25 millions d’euros dans la création d’un simulateur immersif ultra-moderne. Pour parvenir à des systèmes sûrs, avec un niveau de risque proche du néant (objectif : moins d’un accident grave par milliard de kilomètres parcourus), il n’y a pas de secret : si les tests de terrain restent indispensables, seul le recours à des machines de ce type permet aux constructeurs et équipementiers d’engranger rapidement de l’expérience et fiabiliser les dispositifs. De fait, 99% des expérimentations se feront par simulation numérique.
PSA est lui aussi fortement engagé sur le dossier de la voiture autonome à travers le programme AVA (Autonomous Vehicle for ALL), et dispose d’une flotte de véhicules qui accumulent eux aussi les kilomètres. Caradisiac avait eu le privilège de prendre place à bord de l’un d’eux l’an dernier, et vous pouvez retrouver ci-dessous le reportage que nous avions alors tourné.
Enquête - Voitures autonomes: comment la France appuie sur l'accélérateur
Cette période expérimentale permettra aussi aux autorités de procéder aux modifications du cadre réglementaire, dont on rappelle qu’il est régi par la convention de Vienne sur la circulation routière, laquelle date de…1968. : « Aujourd’hui, les textes dont nous disposons permettent assez facilement de procéder aux expérimentations. Mais pour aller au-delà, il va falloir que la Commission européenne prenne toute sa part pour fédérer les pays impliqués dans les discussions autour de la voiture autonome », plaide Anne-Marie Idrac. La loi d’orientation sur les mobilités (LOM), qui prend du retard et dont la présentation devrait intervenir à l’automne, permettra aussi de consolider le cadre juridique permettant à la technologie autonome de prendre son essor.
Les Français réticents
Tous les éléments se mettent en place, et on remarque qu’ils semblent faire l’objet d’un rare consensus politique. Reste un obstacle à surmonter, et pas des moindres : les Français ! Un sondage Ipsos* publié cette semaine a mesuré le faible intérêt qu’ils accordaient à cette nouvelle technologie. Seuls 24% d’entre nous se déclarent en faveur des voitures autonomes et disent avoir hâte d'en conduire une, tandis que 25% se disent carrément contre cette technologie. De même, sur 28 pays interrogés, les Français sont systématiquement parmi les moins optimiste quant aux vertus de la voiture autonome: seuls 52% d'entre nous estiment que la conduite sera plus détendue (moyenne mondiale : 64%), 34% qu’elle sera plus sûre (moyenne mondiale : 67%), ou 29% qu’elle sera plus rapide (moyenne mondiale : 46%).
On est encore loin de la coupe aux lèvres, ce que Pauline Laujac et Jean-Pierre Carnevale, les spécialistes auto chez Ipsos interrogés par Caradisiac expliquent en grande partie par une crainte de la nouveauté : « on a du mal à imaginer les bénéfices plaisants de la voiture autonome tant qu’on ne l’a pas soi-même expérimentée; notre conviction est que c’est l’effet d’expérience qui permettra de faire décoller cette technologie. » A cela s’ajoute une certaine confusion entre les différents stades d’assistance : « Dans l’imaginaire, le véhicule autonome c’est le niveau 5 (un véhicule qui peut rouler sans personne à bord, NDLR). Or, si on n’a pas fait de transition par d’autres types d’aide à la conduite il est plus difficile de se projeter dans une technologie totalement nouvelle. Mais regardez les gens qui aujourd’hui utilisent les régulateurs de vitesse adaptatifs : une fois surmontées les réticences initiales, ils sont parfaitement à l’aise avec ce type d’équipement. Une grande part du travail des constructeurs consistera à mettre les gens dans les voitures autonomes pour leur en faire goûter les bénéfices. » Quant au cas particulier de la France, l’explication serait plus historique : « c’est une histoire de culture automobile. Les pays où l’on se montre le moins convaincu par la voiture autonome sont les pays où existe une vraie culture de la conduite, qui rend plus difficile le passage du «je conduis » au « je ne conduis plus », en zappant les étapes intermédiaires. On relie cette acceptation à une tradition auto. Dans les pays historiques, l'apprentissage de la conduite tient du rite social, du passage à l’âge adulte. »
Ce ne serait donc qu’une question de temps avant que nous, Français, nous enthousiasmions pour la délégation de conduite. L’instauration du 80 km/h sur les routes devrait permettre d’accélérer les choses.
*sondage Ipsos réalisé entre le 27 novembre et le 8 décembre 2017, dans 28 pays sur 21 549 personnes interrogées
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