Week-end : quand Godard sifflait la fin de la récré automobile
Le cinéaste, disparu cette semaine, a consacré un film entier à la voiture, ou plutôt à ce qu'elle a engendré. Même s'il n'en a retenu que le pire. Ce long-métrage s'appelle Week-end et date de 1967. En résumer l'histoire ? C'est une gageure. N'oublions pas que c'est du Godard.
On le sait, Jean-Luc Godard a truffé sa filmographie d’automobiles et Serge Bellu le rappelait hier soir. Mais le trublion franco-suisse disparu mardi n’a pas seulement utilisé la voiture comme un élément de décor, ou de déplacement. Dans ses films, il en a fait un marqueur de la société, de son insouciance à son dérèglement. Et un seul long-métrage symbolise à lui seul ce drôle de rapport curieux qu’il entretenait avec la bagnole. Ce film, c’est Week-end, et il date de 1967.
A cette époque, le réalisateur venait d’enchaîner quelques jolis succès, comme À bout de souffle et Pierrot le Fou avec Jean-Paul Belmondo, ou encore Le mépris avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli. Mais 67, c’est l’année de sa bascule vers un cinéma plus underground et plus politique. L’insouciance de ses personnages lunaires et ados, qui utilisent les autos comme un outil de liberté, c’est terminé.
JLG a changé, mais avant de s’envoler vers les années 70, une période pendant laquelle il ira jusqu’à refuser de signer les films qu'il réalise, il veut régler son compte à une société qui l’a pourtant gâté. Pour y parvenir, il va utiliser, dans Week-end, ce qui symbolise pour lui le mieux la civilisation des loisirs, de la virilité, de la violence et de la consommation : l’automobile.
Il faut dire qu’en cette année 1967, 13 500 personnes trouvent la mort sur les routes françaises et ces morts, Godard veut nous les montrer. À titre de comparaison, 3 200 personnes se sont tuées sur la route l’an passé. D’autant qu’il y a aujourd’hui 40 millions de voitures en circulation dans l’hexagone, alors qu’en 1967, il y en avait à peine 13 millions.
Le scénario de ce long-métrage ? Il n’est évidemment pas simple à résumer, moins simple que celui de Camping de Fabien Onteniente en tout cas. Il est question d’un couple, en l’occurrence, celui interprété par Jean Yanne et Mireille Darc. Ils décident de partir en week-end à bord de leur Facel Vega Facellia. Elle est futile et lui est fier de sa femme, et de sa voiture.
Un travelling de 300 m sur rails
Mais la route du vendredi soir est un enfer semé d’embouteillages et d’accidents. Dans une scène désormais célèbre, Godard met en place ce qui restera comme l’un des plus longs travelling de l’histoire du cinéma : 300 m de rails qui s’étendent sur une petite route des Yvelines. Son chef opérateur Raoul Coutard le remonte pour filmer des dizaines de voitures, en panne, ou cabossées, dont les conducteurs et les passagers s’engueulent, se chamaillent ou se sourient, ou les enfants jouent sans même se préoccuper de l’accident qui a créé ce bouchon, et des blessés qu’il a provoqué.
Mais le chaos continue. Dans un village qu’ils traversent, les deux « héros » tombent nez à nez avec un autre accident, entre une voiture et un tracteur. Le conducteur de la voiture est mort. Plus loin, c’est la Facel qui prend feu. Pas grave, le couple vole une autre auto et continue sa route, d’accidents en désastres. La femme se fait violer par un clochard, sous le regard indifférent de son mari. Soudain, Saint Just (Jean-Pierre Léaud) sort de sa tombe et livre à un discours révolutionnaire à travers champs. Emily Bronté est aussi de la partie. Autour d’elle, des carcasses de voitures se transforment en moutons.
Lorsque le couple arrive chez leurs beaux-parents, dont ils comptent bien hériter, c’est pour s’apercevoir que le beau-père est mort. Ils assassinent donc la belle-mère au couteau pour accélérer la succession, en simulant sa mort dans un énième accident de voiture. Mais ils se font attraper, mais c’est le FLSO (Front de libération de la Seine et Oise) qui les arrête. Ils passent Jean Yanne par les armes pendant que Mireille Darc se rallie à leur cause. Ils vont sceller leur nouvelle amitiés devant un festin réalisé grâce aux restes du mari, soigneusement rôtis.
Week-end est donc un film totalement foutraque, et Godard a largement tendance à jeter le bébé automobile avec l'eau du bain d'une société égoïste violente et consumériste. Mais si le parallèle est facile, il n'est pas toujours dénué d'intérêt, tellement la bagnole a façonné le XXe siècle avec ses bons et ses mauvais côtés. Et à sa façon, le cinéaste a sifflé la fin de la récré. Quelques années plus tard, les limitations de vitesse sont entrées en vigueur et Godard s'en est allé ailleurs, vers des films encore plus obscurs, plus politiques aussi.
Il a aussi, avec Week-end, laissé s'envoler une fois encore cet esprit de liberté totale. Une liberté qui s'est définitivement éteinte, à Rolle en Suisse, mardi après-midi. Mais le vieux génie des Alpages a néanmoins mis au point sa dernière pirouette en exigeant, qu'en guise d'épitaphe sur sa tombe, sous son nom, soit inscrit "au contraire". Du Godard dans le texte.
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