Affaire Carlos Ghosn - Interview de Bernard Jullien: « L’Alliance ne disparaîtra pas ! »
L'universitaire Bernard Jullien est l'un des observateurs les plus avisés de l'industrie automobile française. Caradisiac l'a interrogé au sujet des conséquences de l'affaire Carlos Ghosn.
L’Alliance Renault Nissan Mitsubishi est-elle menacée par l'affaire Ghosn ?
Toute une série d’irréversibilités se sont créées en vingt ans d’histoire commune. Renault comme Nissan et Mitsubishi auraient toutes les peines à recréer celles-ci ailleurs si l’Alliance devait disparaitre. D’ailleurs, ni le patron de Nissan dans sa dernière allocution ni Emmanuel Macron ne remettent en cause cette position. Il y aura des tensions dans les mois à venir, certains vont dire que l’un peut se passer de l’autre et l’autre se passer de l’un, mais on s’aperçoit que cette configuration est devenue inextricable. Comment avancer sur l’électrique l’un sans l’autre ? Et sur la Russie, sur les dossiers indien ou sud-américain ? Comment Nissan pourrait-il maintenir ses positions en Europe sans Renault ?
Le problème n’est pas de savoir si l’Alliance va exploser mais comment en stabiliser la gouvernance sans Ghosn. Depuis 6 mois, c’est Carlos Ghosn lui-même qui devait régler ces questions, ce qui est d’ailleurs un peu délirant. C’est comme si on avait demandé à un autocrate de concevoir une constitution !
Comment vont désormais s’établir les rapports de force ?
La logique des volumes et des profits pourrait conduire à donner le lead à Nissan mais c’est insupportable pour Renault et l’Etat français. En face, le lead de Renault est insupportable pour les japonais qui croient qu’ils sont les meilleurs. La conclusion de Carlos Ghosn était que le maintien d’une Alliance dirigée par lui représentait la seule solution viable. Surtout en intégrant Mitsubishi. L’alliance c’est improbable, compliqué, instable mais c’est finalement la seule solution opérationnelle. J’ai coutume de dire que ça ne rentre pas dans une copie de MBA, mais qu’en même temps c’est plus convaincant que tout ce qu’on a pu observer dans l’automobile depuis 20 ans ! Il n’y a pas de complexes à avoir parce que quelques observateurs répètent que l’Alliance n’a pas optimisé les bénéfices de la communalité. On observe qu’elle a traité à la Nissan les dossiers américains et chinois, et à la Renault les dossiers indien et sud-américain, et ça marche bien ainsi.
Et si tout était faux ? Et si les charges évoquées par Nissan ne reposaient sur rien ?
Comme pour le diesel, le mal est fait ! La question de savoir si Carlos Ghosn est un pourri est moins importante que celle de savoir ce que ça nous dit quant à la nécessité de réformer la gouvernance de l’Alliance et de la stabiliser.
Quelle aura été la grande force de Carlos Ghosn ?
Il a un atout considérable qui est la longévité. C’est ce dont on est en train de se priver. On perd le dirigeant d’un ensemble qui est là depuis très longtemps. C’est un homme qui sait parler à l’oreille des politiques. Or, l’industrie automobile est une industrie politique. Pour réussir en Russie, il faut convaincre Poutine qu'on est le meilleur partenaire des autorités. Idem en Algérie ou partout ailleurs. Ghosn a su convaincre qu’il était un bon partenaire de l'économie locale. Paradoxalement, c'est peut-être en France qu'il y sera le moins bien parvenu! Dans de nombreux pays, les constructeurs de l’Alliance apparaissent comme des champions nationaux. En Inde, la Kwid était un défi, car il fallait montrer qu’on était indien en Inde !
La voie est ouverte pour la succession de Carlos Ghosn. Thierry Bolloré semble programmé pour lui succéder. Mais peut-on imaginer un rebondissement à la Air France, avec la nomination d’un patron inattendu ?
Dans une phase de turbulences, la stabilité des process et des équipes est primordiale. Il faut continuer à sortir des voitures, à renouveler les gammes. Si vous ne voulez pas que la crise au sommet contamine la base, tout le monde doit veiller à la stabilité des équipes. Il n’y a pas de raison de débarquer Bolloré. Il a une trajectoire à la Schweitzer, avançant avec discrétion et modestie. En 2018 tout le monde comprend qu’il connaît bien Renault, qu’il est légitime. La question du charisme est secondaire. Dans l’auto comme souvent ailleurs, le charisme intervient quand la personne est en fonction. Il y a quelques années, j’entendais souvent dire que Carlos Tavares ne pouvait être que le second d’un Carlos Ghosn. Regardez la suite…
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération