François Allain: "Thierry Ardisson adorait sa 404 Cabriolet"
S’il n’avait pas le permis, Thierry Ardisson n’en cultivait pas moins une passion pour les voitures, et en possédait même plusieurs, dont une 404 Cabriolet qu’on a plusieurs fois vue à l’écran. François Allain, qui fut son assistant, nous raconte son aventure avec l’homme en noir, et nous révèle même quelques secrets de tournage…

Thierry Ardisson a une place de choix dans le panthéon télévisuel, mais François Allain n’est plus à présenter. Révélé au grand public dans Turbo puis devenu un incontournable de la voiture ancienne en animant l’émission Vintage Mecanic, l’ami François a débuté dans le petit écran dans les années 80.
Non pas dans une émission automobile mais en tant qu’assistant sur Lunettes noires pour nuits blanches, le programme par lequel Ardisson est devenu une star du tube cathodique. François Allain n’a pas perdu contact avec l’Homme en noir, qui a d’ailleurs été l’invité d’un des épisodes de Vintage Mecanic, grâce à sa Peugeot 404 Cabriolet…

Stéphane Schlesinger : Comment as-tu rencontré Thierry Ardisson ?
François Allain : C’est avec lui que j’ai commencé ma vie professionnelle. J’ai été assistant dans son émission Lunettes noires pour nuits blanches à la fin des années 80, ça a été mon premier boulot. C’est par le frère de sa 2e femme, Béatrice, qui était un copain de lycée, que je l’ai connu. Ce n’est pas lui qui m’a embauché directement mais il m’a beaucoup marqué. Je suis arrivé à 21 ans dans son émission, j’allais à la fac la journée, et le soir on tournait Lunettes Noires. Quand, à cet âge-là, tu te mets à croiser des gens comme Karl Lagerfeld, Michel Rocard, Serge Gainsbourg, plus généralement, des acteurs et actrices, des metteurs en scène, des politiques, des photographes, des peintres, des sculpteurs, la nuit, c’est génial. On a aussi fait la première télé du groupe Texas, les tous premiers pas de Laurent Gerra. Quand Thierry a dit à Nicolas Sirkis qu’en gros il chantait faux, j’étais limite gêné car j’adorais Indochine ! Pareil, je me souviens du jour où il a reçu Jimmy Somerville. Il lui a rappelé que son surnom, c’était tronche de patate. Ça l’a raidi, il s’est crispé et ça ne s’est pas bien passé. C’était fascinant !
S.S : Thierry Ardisson, que l’on voit au volant sa 404 dans le générique de Lunettes noires, n’avait pas le permis. Drôle de paradoxe !
F.A. : Effectivement, Thierry n’a jamais passé le permis. C’est le cas de beaucoup de gens de sa génération née dans les années 40, comme par exemple Eddy Mitchell. Néanmoins, il adorait les voitures des années 50-60, parce que ça correspondait à son enfance. Il avait dit en interview que son père avait une 2CV, et quand il voyait passer une DS19, il lui demandait : « mais pourquoi nous, on n’a qu’une Deuche ? ». Un peu comme Jean-Pierre Foucault qui a collectionné des voitures populaires, Ardisson a acheté plusieurs autos qui lui rappelaient son enfance. D’ailleurs, dans sa propriété de Normandie, il a rassemblé énormément d’objets de cette époque, et s’est constitué une collection de voitures.
S.S. : Voilà qui n’est pas banal pour quelqu’un qui ne peut les utiliser. De quels modèles se compose-t-elle ?
F.A. : Une Peugeot 203, que ne n’ai jamais vue, mais aussi la fameuse 404 Cabriolet apparue à de nombreuses reprises à la télévision, une Renault Colorale, une voiture très atypique qui ressemble assez à mon taxi anglais, une Austin Mini break bois qu’il a achetée pour sa femme Béatrice, et une Morris 1300. En fait, que des françaises et des anglaises des années 50-60.

S.S. : Dans le générique de Lunettes Noires, on le voit au volant de la 404. Il la conduit vraiment ou c’est une impression ?
F.A. : C’est pipeau ! Soit la voiture était tractée, soit on la poussait. Pour le générique, il faut savoir que l’émission était enregistrée au Palace, et la rue où cette boîte se trouvait est légèrement en pente. Thierry était au volant, moteur éteint, on poussait la voiture et dans les trente derniers mètres, avec l’élan, en roue libre, il faisait semblant de conduire. Moi, j’étais l’un des deux assistants qui poussaient la 404 ! Dans le même ordre d’idée, une anecdote me revient. L’émission était tournée le seul jour où le Palace était fermé. On commençait en fin de journée et on finissait tard dans la nuit. Evidemment, il n’y avait pas de DJ, et Thierry m’avait demandé faire plusieurs cassettes où étaient mixées toutes les musiques de cette époque-là. Donc, quand je revois des extraits de l’émission je suis mort de rire, car le son qui laisse croire que ça se passe au moment où la boîte de nuit bat son plein alors quelle était fermée. Ce sont des super souvenirs, une expérience de dingo.

S.S. : Mais pourquoi Ardisson aimait-il la 404 en particulier ?
F.A. : Il l’adorait ! Pour lui, c’était le modèle de luxe des années 60, faite chez Pininfarina. Il était très branché sur le côté esthétique des autos. Il s’en est acheté une et s’en est jamais séparé : la 404 que l’on voit dans Lunettes Noires est bien celle qui figure dans Vintage Mécanic. Elle n’a pas changé d’immatriculation, c’était sa voiture perso, pas une auto de la production. Elle est toujours chez lui, en Normandie, et j’espère que ses enfants la garderont car c’est un super souvenir.
S.S. : Plus de 30 ans après Lunettes Noires, cette 404 s’est retrouvée dans Vintage Mecanic. Comment se sont passées vos retrouvailles avec Ardisson ? On avait l’impression d’une vraie complicité entre vous à l’écran.
F.A. : Je ne peux pas dire que j’étais intime avec lui, c’était surtout mon boss. En tout cas, le tournage a été génial car trente ans après, c’est comme si rien n’avait changé. Quelques années après avoir quitté Lunettes, j’ai écrit le bouquin sur les coupés et cabriolets Peugeot, dans lequel il y avait un chapitre complet sur la 404. J’en ai envoyé un exemplaire à Thierry à l’époque, qui m’a remercié en me disant que c’était super sympa. Une quinzaine d’années plus tard, en salle de montage, j’entends la voix très reconnaissable d’Ardisson dans la salle d’à côté. Je vais le saluer, en lui rappelant que j’avais travaillé pour lui. Il me répond « super, et figure-toi qu’on a le même producteur, 3e Œil, car c’est toi qui fais l’émission sur la restauration des bagnoles. » Je lui réponds qu’avoir poussé sa 404 m’a servi ! Ensuite, on a bu un coup à la machine à café, c’était un moment très agréable. 30 ans après, je retrouvais ce gars-là qui m’avait beaucoup marqué et qui ne me toisait pas du tout. Il m’a confié regarder de temps en temps Vintage Mecanic et adorer les vieilles voitures. Je lui ai rappelé que je m’en souvenais très bien pour avoir bricolé pas mal de fois sa 404 devant le Palace ! Peu avant son passage dans Vintage Mecanic, elle ne fonctionnait plus. Mais comme on avait prévu le tournage longtemps à l’avance, Thierry a eu la gentillesse de nous la faire remettre en route par son garagiste local qui a en plus vérifié l’embrayage, les pneus, l’échappement, puis a remis une batterie neuve et de l’essence. Il a apparemment pris une belle somme pour ça. Cela dit, j’ai bien peur qu’elle n’ait pas bougé depuis.
S.S : Je l’ai entendu dire en interview avoir toujours refusé de passer le permis car il avait peur de s’énerver au volant, de descendre et de se battre avec des automobilistes… C’était un air qu’il se donnait ?
F.A : Non, je pense qu’il y avait de ça. Cette peur de conduire avec tout ce que cela comportait. C’est pour ça qu’il a toujours été avec des nanas qui le conduisaient. C’étaient aussi parfois les assistant qui lui servaient de chauffeur, ce qui m’a permis de conduire sa 404 à l’époque.
S.S : Thierry Ardisson s’était composé à l’écran un personnage un peu particulier, très clivant. Mais hors caméra, comment était-ce de bosser avec lui ?
F.A. : C’était un type brillant, très imaginatif. Evidemment, il était aussi un peu égocentrique et roulait pour lui-même, mais dans ce milieu, c’est très fréquent, et il ne s’en cachait pas. Manifestement, et c’est confirmé dans le très beau documentaire que lui a dédié sa 3e femme, Audrey Crespo-Mara, il avait une revanche à prendre, une envie, comme beaucoup de provinciaux, de monter à la capitale pour devenir riche et célèbre. Il faut remettre ça en contexte, c’est un baby-boomer qui a vécu les Trente Glorieuses, l’époque de la reconstruction, où tout était en progression permanente, et où ceux qui bossaient beaucoup gagnaient pas mal d’argent. C’est de tout ça qu’est né ce personnage un peu atypique. Avec son côté catho royaliste, il s’est trouvé une posture originale face à mai 68.

S.S : On peut même dire que cette posture était étonnante !
F.A. : Effectivement, mais Thierry était un être paradoxal. Il n’était pas forcément de son époque, pourtant, il a réussi comme publicitaire et créé l’agence Business. Dans le même temps, il était aussi passionné d’histoire et a écrit un bouquin sur Louis XX, qu’il m’a dédicacé. Il était à la fois dans l’actualité et paradoxalement accroché à des valeurs presque has-been à son époque, comme le catholicisme, le royalisme… C’était un gars très atypique, dans la vie, les gens l’adoraient ou le détestaient, et à la télé, c’était un peu pareil. En fait, c’était un homme hypersensible et très attachant.
S.S. : J’ai pu le voir étant jeune, lorsque je suis allé à l’enregistrement, très long, de Double Jeu. Autant Laurent Baffie discutait avec tout le monde, autant Ardisson restait distant…
F.A. : Il n’avait alors pas forcément un contact très facile avec l’homme de la rue, mais s’est beaucoup amélioré en vieillissant. Il était jeune, il avait envie de réussir, et quand tu es star très jeune, tu peux prendre le melon. Après, il était très entouré par de nombreux assistants, voire couvé par sa productrice, Catherine Barma, une femme au très fort caractère qui l’empêchait de partir dans tous les sens. Elle tenait la baraque. Thierry avait une équipe rapprochée de 4-5 personnes, qui sont restées très longtemps avec lui. De la même manière, les réalisateurs étaient tout le temps les mêmes, Dominique Colonna et Jean-Paul Jaud, puis Serge Khalfon. Ce dernier a suivi Ardisson pendant des années. Thierry aimait avoir ses repères, il avait besoin d’être rassuré. On peut l’aimer ou pas, mais il faut reconnaitre qu’il a eu un culot monstre, qu’il a inventé plein de concepts d’émission. Et il ne se vexait pas quand ça foirait ! En tout cas, Tout le monde en parle a duré près de dix ans, et c’est la matrice de toutes les émissions qui ont suivi. Celle de Léa Salamé en est en réalité une version assagie. J’ai une tendresse pour Ardisson car il m’a permis de vivre des moments exceptionnels.
S.S. : Il faut dire qu’il ne reculait devant aucune audace !
F.A. : Evidemment, on ne pourrait plus faire aujourd’hui ce qu’il a osé, comme demander à Rocard si « sucer c’est tromper ». Il a reconnu aussi avoir eu des propos qui auraient pu être condamnés dans des actions type Me Too, mais il expliquait aussi qu’il posait des questions équivalentes aux hommes et aux femmes. D’ailleurs, c’est une femme, exceptionnelle, Marie-France Brière, la patronne de l’unité de programme d’Antenne 2, qui l’a découvert, poussé et présenté à Catherine Barma.

S.S. : Tu as pu rencontrer de nombreuses stars sur Lunettes noires. Avais-tu gardé des contacts qui t’ont par la suite servi pour Vintage Mecanic ?
F.A. : Bizarrement non. En fait, il s’est écoulé dix ans entre le moment où j’ai arrêté de bosser avec Ardisson et mon retour à la télé sur Turbo, avec Dominique Chapatte. Et puis à l’époque je n’étais qu’un petit assistant. C’était surtout rigolo quand je rappelais à un invité de Vintage Mécanic que je l’avais déjà rencontré sur Lunettes noires, dont j’ai d’ailleurs un souvenir très nostalgique.
S.S. : D’ailleurs, pourquoi as-tu arrêté de travailler sur cette dernière émission ?
F.A : C’est à la suite du passage de Gainsbourg, un moment incroyable, presque surréaliste. Il y avait une meute de journalistes ce jour-là, ce qui m’a coûté ma place. J’étais devenu chef de plateau, et je devais à la fois obéir au directeur de prod et à la productrice, Catherine Barma. Dans l’oreillette, celle-ci me demandait de cajoler les journalistes car c’était très important pour la com, et de l’autre, Michel Malaussena m’ordonnait de les virer car il fallait commencer le tournage. En clair, j’avais mes deux patrons qui me donnaient des ordres contradictoires. J’ai essayé de ménager la chèvre et le chou, et à la fin, aucun des deux n’était content. Catherine trouvait que j’avais évacué un peu trop vite les journalistes, et pour Michel, je l’avais fait trop lentement. Du coup, je me suis fait dégager !
S.S. : Après Vintage Mecanic, quels sont tes projets ?
F.A : Je ne te cache pas qu’après avoir bossé comme un fou ces dernières années, je prends un peu de temps pour moi, ne serait-ce que pour aménager le garage au fond de mon jardin ! J’ai deux projets d’émission sur la voiture ancienne, et je vous en dirai plus dans quelques mois…
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération