Industrie automobile : la souveraineté ou l’électricité ?
Juste avant Noël, l’information est passée presque inaperçue, sauf dans le milieu de la voiture électrique où elle a fait l’effet d’un… électrochoc : la Chine veut nous priver d’un composant essentiel de la « watture ».
Le 21 décembre, le ministère chinois du commerce annonçait que serait désormais interdite toute exportation de « technologie d’extraction, de traitement et de fusion des terres rares ».
Ces terres rares, un ensemble de quelque dix-sept minéraux dont les noms se terminent tous en « yme » ou « ium », sont incontournables dans la fabrication de la plupart de nos appareils électroniques et des technologies de décarbonation, notamment pour la fabrication des aimants des génératrices d’éoliennes ou des moteurs de voiture électrique.
Voici donc, et elle n’aura pas tardé, la réponse chinoise à l’enquête lancée par Ursula von der Leyen à l’encontre de l’industrie automobile chinoise pour pratiques anti-concurrentielles. On peut aussi y lire la réponse au bonus français qui ne bénéficiera plus à aucune voiture chinoise en 2024.
La souveraineté industrielle s’éloigne…
Une réponse qui pourrait faire très mal.
Car non seulement la Chine contrôle presque 60 % de la production de ces minerais, en Chine ou à l’étranger, mais surtout, elle truste quasiment 90 % de leur raffinage avec dans ce dernier domaine une avance scientifique et technologique qui semble désormais irrattrapable. Car ce ne sont pas seulement les matériels qui sont placés sous embargo, mais également les méthodes et les savoirs.
En revanche, l’exportation des produits finis n’est, elle, pas prohibée : les constructeurs occidentaux pourront donc toujours s’approvisionner en aimants, moteurs et composants périphériques… à des prix qu’ils trouveront sans doute trop élevés.
Mais ils devront renoncer à s’affranchir de la tutelle technologique et bientôt économique de l’industrie chinoise qui leur fournit déjà l’essentiel des batteries et la quasi-totalité des cellules qui les composent.
Une très mauvaise nouvelle pour une Europe qui croyait bientôt recouvrer sa souveraineté industrielle en diversifiant ses approvisionnements de lithium et en se dotant d’une industrie de la batterie.
Dans ces conditions, on voit mal comment nos Stellantis, Renault, VW, BMW, Mercedes pourront rattraper leur retard industriel et échapper à la condition de vassaux de BYD, Aiways et autres géants chinois. Ni surtout comment ils pourront se battre à armes égales avec eux sur le marché.
La semaine suivante, on apprenait que BYD allait installer des chaînes de montage en Hongrie…
Délocalisation et conséquences
J’ai l’air malin avec mon billet de fin novembre où je commençais à voir l’avenir de la watture en rose.
Pour faire court, nous voici désormais aussi dépendants de la Chine pour la production de nos voitures électriques (éoliennes, panneaux solaires, composants électroniques…) que nous le fûmes des pays du Golfe Persique dans les années 70 pour le fonctionnement de nos voitures (centrales électriques, camions, chaudières) thermiques.
J’entends déjà protester le cœur des optimistes.
Oui, des alternatives existent comme le moteur bobiné de certaines Renault exempt d’aimants permanents – mais pas de cuivre. Oui, Tesla comme Toyota travaillent à un moteur dont les aimants se passeront de terres rares. Et dans l’éolien, la prometteuse technologie du supraconducteur vise le même résultat.
Mais la plupart de ces solutions sont à moyen et long terme. À l’image des gisements de terres rares qui seraient exploitables dans le Nord de la Scandinavie, et même chez nous en Bretagne, mais dont je parie qu’ils ne seront jamais inaugurés à cause de leur coût environnemental.
Il faut concasser 50 tonnes de roche pour un kilo de gallium, 1 200 tonnes pour un kilo de Lutecium. Et leur raffinage implique l’emploi d’acides sulfurique et nitrique, et aussi la production de sympathiques déchets radioactifs, thorium et uranium.
Une pollution et des nuisances qui ont d’ailleurs conduit à la délocalisation d’une grande partie des activités de l’usine Solvay (alors Rhône-Poulenc) de La Rochelle qui, jusqu’aux années 80, purifiait la moitié des terres rares employées dans le monde. Délocalisée où ? Devinez… En Chine.
Quant aux possibilités ouvertes par le recyclage, elles sont infimes à l’égard des besoins.
Bref, tous les spécialistes s’accordent pour dire que l’embargo chinois pourrait considérablement ralentir et renchérir le grand mouvement de décarbonation et d’électrification de nos sociétés.
Production de masse et baisse des prix ?
Ou pas.
Il est possible qu’Ursula remballe vite sa vilaine enquête et ses envies de concurrence pure et parfaite ou que le bonus anti-voiture chinoises (et coréennes) du gouvernement français soit condamné par l’OMC et vite abandonné. Et par conséquent, que la Chine lève son embargo et que ce billet d’humeur soit à classer dans ma liste « J’aurais dû attendre que ça se tasse avant d’écrire».
Reste que si la Chine persiste à conserver pour elle ses terres rares et leur raffinage, beaucoup de choses devront changer. Concernant la voiture électrique, il sera très compliqué de tenir les promesses de production de masse et de baisse des prix. Et impossible de faire face à la concurrence chinoise en dehors des frontières de l’Union, étant entendu qu’à l’intérieur elle sera lourdement taxée par mesure de rétorsion.
2026, un choix impossible ?
Faudra-t-il alors renoncer à la grande électrification du parc automobile et revenir dare-dare au moteur à pétrole ? Je lis et j’entends que des constructeurs ont prié leurs équipementiers de préserver leurs compétences et moyens de production dans ce domaine.
Au cas où…
Car en 2026, dans deux ans, la Commission européenne devra confirmer ou infirmer l’objectif d’un marché automobile électrifié à 100 % en 2035. Si l’embargo chinois se confirme, l’alternative qui se présentera alors risque d’être désagréable, avec deux options impossibles.
1/ Mettre le marché automobile européen aux mains des constructeurs chinois, désormais seuls capables de proposer des « wattures » à des tarifs en rapport avec les moyens des acheteurs. Ce serait la fin d’un pan essentiel de notre industrie, de notre économie et, in fine, de notre souveraineté industrielle.
2/ Fermer l’Europe à l’industrie automobile chinoise, y compris en la privant de toute implantation d’usines sur notre sol. Cela signerait la fin de tout commerce avec elle, avec des constructeurs européens livrés à eux-mêmes et par conséquent incapables d’électrifier leur production à hauteur des besoins. On verrait alors le marché fondre, les parcs automobiles vieillir, une véritable « cubanisation » dont on observe déjà les prémices avec l’envolée ces dernières années des prix du neuf et de l’occasion.
Nos voitures de l’an 2040 ?
Une troisième voie risque alors de s’imposer : renoncer au 100% VE et réhabiliter la motorisation thermique, domaine dans lequel notre industrie conserve une certaine avance technologique et une petite marge d’évolution.
Je ne suis pas devin, mais suis certain d’une chose : s’il faut renoncer à commercer avec la Chine mais tout de même réduire nos émissions de CO2, les voitures européennes de l’an 2040, qu’elles soient thermiques ou électriques, évoqueront davantage par leurs silhouettes, leurs performances et leur poids nos bagnoles de 1983 ou 1993 que celles de 2023.
2023 dont on se souviendra qu’en France cette année-là, il se vendit pour la première fois plus de SUV que de berlines. Et aussi qu’en septembre, Peugeot présenta une e-3008 de plus de deux tonnes, dotée d’une extraordinaire batterie de près de 90 kWh.
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