La mobilité malade de l'immobilier
On apprenait la semaine dernière que l'immobilier parisien avait dépassé les 10 000 € le m2. Et lundi prochain débute la semaine "de la mobilité" avec pour apothéose la journée sans voiture du 22 septembre. Vous ne voyez pas le rapport ?
En 20 ans, le prix des logements parisiens a augmenté de 248 %. Dans le même temps, le salaire moyen des Français ne prenait lui que 40 %. Et une hausse de 6 % est encore prévue l'an prochain. Pour les mètres carrés, pas pour les salaires…
Un phénomène qui touche presque toutes les grandes villes françaises et leur proche banlieue. La plus-value enregistrée sur le parc des logements français ces 20 dernières années frôle les 4 000 milliards d'euros, soit presque deux fois la dette de l'Etat français !
Conséquence, les appartements parisiens - nantais, bordelais, toulousains, angevins… - ne sont plus seulement des logements, mais de plus en plus des placements - souvent inoccupés, ça se revend mieux - ou des Airbn'b. Paris perd des habitants, vieillit, se vide de sa jeunesse et de ses familles, de ses ouvriers et employés.
Où vont-ils habiter ? De plus en plus loin, jusqu'en pleine campagne, là où n'iront jamais tramways, métros et RER et parfois, pas même l'autobus.
Mais alors, comment viennent-ils y travailler, étudier, se distraire, consommer ?
Vous connaissez la réponse : la voirie francilienne est saturée la plus grande partie du jour et plus aucune métropole n'est épargnée par la congestion.
Le métro : une bétaillère, la paille en moins, la main aux fesses en plus
Donc, la semaine prochaine, celle "de la mobilité", on va se reposer la question marronnier : "comment inciter tous ces braves gens à prendre les transports en commun, à enfourcher un vélo ou à marcher ?"
La réponse est qu'on ne les y incitera pas.
Assistance électrique ou pas, l'immense majorité des cyclistes ne dépasse pas au quotidien les 20 km aller-retour et laisse le vélo au râtelier s'il pleut ou fait froid.
Quant aux transports en commun, ils débordent déjà aux heures de pointe. En Ile de France, le métro, le bus ou le RER de 7 à 9h puis de 17 à 20h, c'est la bétaillère, la paille en moins, la main aux fesses en plus et des pousseurs pour tasser les rames.
De toute façon, leurs lignes s'étendent moins vite vers les confins des métropoles que la population n'y migre.
Et si par chance, l'allongement ou la création d'une ligne vient déposer des rails à proximité dans une ville ou un quartier, hop, l'immobilier y explose à son tour.
Le vase d'expansion des transports urbains
Reste deux modes de transport qui ont littéralement explosé dans nos villes : le scooter depuis 15 ans et la trottinette électrique plus récemment. Deux engins que l'on peut véritablement considérer comme la variable d'ajustement des transports urbains, pour ne pas dire son vase d'expansion. Avec les pertes et fracas que l'on sait, mais aussi une efficacité certaine.
Efficacité que vient de reconnaître un rapport officiel de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire, alimentation, environnement, travail) : "Impact sur la pollution atmosphérique des technologies et de la composition du parc de véhicules automobiles circulant en France".
Dans les trois scénarios d'évolution recommandés par l'Anses, le plus ambitieux prescrit une augmentation de 50 % du nombre de deux roues, tant thermiques qu'électriques…
Mais vu l'allergie de nos maires pour tout ce qui ressemble à une moto ou un scooter, on les imagine plus facilement demander à Franky Zapata de mettre en libre-service ses Flyboard Air.
Bref, on est dans l'impasse et je commence à me demander si on prend la question des transports par le bon bout…
Attrapons-la de l'autre côté, par l'immobilier.
La folie de la pierre, un enrichissement illusoire
En chassant la populace du centre des grandes villes, en écartant toujours plus zones d'habitat et bassins d'emploi, la folie de la pierre est la grande responsable de la crise de la mobilité.
Cette spirale infernale qui centrifuge les habitants et centripète les investisseurs, qu'apporte-t-elle en échange ? L'augmentation des inégalités, l'enrichissement illusoire de ceux qui ont acheté à temps et beaucoup de souffrance pour les autres.
Le crédit immobilier rabote le pouvoir d'achat des ménages, l'allongement des trajets dévore leur temps libre et la bagnole qui fut l'instrument de leur émancipation et de leur liberté devient leur tourment quotidien, un gouffre à carburant, une pollueuse majeure.
Un enrichissement qui nous appauvrit
Après la Grande-Bretagne, et plus précisément l'Angleterre où il a contribué à disloquer la société, le boom de l'immobilier est devenu le grand mal français qui "désaménage" le territoire et crée de nouvelles cloisons entre classes sociales. Il concentre pauvreté et délinquance dans des ghettos inexpugnables, "embulle" les bien-gagnants dans des centres-villes muséifiés et entre les deux englue les classes moyennes toujours plus loin des transports en commun et des services publics.
Ce "pognon de dingue" que nous dépensons pour nous loger, c'est autant d'argent en moins pour nous former, éduquer nos enfants, les faire voyager ou étudier.
Et au final, ces petits appartements à un demi-million d'euros, ces pavillons excentrés à 300 000 € peuvent bien nous donner l'illusion d'être riches, en fait ils nous appauvrissent.
Avec un immobilier deux à trois fois moins cher, les Allemands sont-ils moins riches que nous ? Bien évidemment non, c'est même un des ressorts de leur prospérité et de leur cohésion sociale.
Bref, ce n'est pas de l'automobile que souffrent la société française et le gilet jaune, c'est du logement. Nous n'avons pas un problème de mobilité, mais d'habitat.
Vouloir soigner nos maux en réformant notre façon de nous déplacer, c'est prétendre soigner la varicelle en pressant les boutons.
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