Partage de la route : un rapport choc pour tenter de mettre fin à la guerre des usagers
Cyclistes, automobilistes, piétons : Emmanuel Barbe livre 40 propositions pour une cohabitation pacifiée sur la route. Un chantier vaste… et sensible tant les déséquilibres de vulnérabilité et de législation sont disparates entre les usagers de la route.

Le 15 octobre 2024, Paul Varry, un jeune cycliste parisien de 22 ans, perdait la vie dans un accident dramatique. Il ne s’agit alors pas d’un banal accident, car selon les témoins, la voiture aurait volontairement percuté le cycliste après une altercation. Derrière cette sombre histoire, la conséquence d’une politique dont les investigateurs chérissent les causes : promouvoir le vélo et tuer l’automobile, sans assumer à 100 % la volonté (coût des parkings, peu de choix en périphérie). Ajoutez une densité de population énorme, le stress permanent de la course contre la montre, des gens instables et vous obtenez un drame prévisible.
En réponse à cette tragédie et à la colère qu’elle a suscitées, le gouvernement avait mandaté Emmanuel Barbe – ancien délégué à la Sécurité routière – pour plancher sur le sujet du partage de la voie publique. Son rapport vient d’être remis au ministre des Transports Philippe Tabarot, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne manque ni de propositions ni d’ambition.
Qui tue qui ?
Parmi les données présentes dans le rapport, deux interpellent : l’évolution du nombre de morts et le rôle des différents véhicules dans ces morts.


Cyclistes, piétons, voitures : vers une meilleure cohabitation ?
Le rapport Barbe ne tourne pas autour du pot : 40 recommandations, dont 18 jugées prioritaires, pour rééquilibrer un espace public devenu trop souvent champ de bataille entre voitures, vélos et piétons. L’accent est mis sur l’éducation, la réglementation et l’aménagement urbain, avec un mot d’ordre : apaiser les tensions et prévenir les violences.
Les mesures marquantes qui nous paraissent intéressantes ou bancales :
- Généralisation de la zone 30 km/h dans toutes les agglomérations : si la vitesse paraît lente, sachez que le gain de temps à rouler vite en ville est marginal, sinon nul. Si 50 km/h sur le périphérique parisien a peu de sens, le lieu étant réservé aux véhicules exclusivement, en ville, entre les piétons, les groupes de personnes, les EDPM et les vélos, le 30 km/h généralisé serait utile.
- La formation et l’information : créations de dispositifs d’apprentissage de la sécurité routière et du vélo, notamment le savoir rouler à vélo (SRAV) de la maternelle au lycée. Nous serions tentés de dire que les enfants n’ont pas besoin d’être formés. Qu’ils apprennent avec leurs parents. Mais ce n’est pas toujours le cas. Reste que l’école n’a déjà pas les moyens financiers et logistiques de réaliser ce qu’elle doit réaliser, sans compter les protocoles idiots qui sclérosent son système. Alors ajouter ça en plus…
- Rendre les formations à l’apprentissage du vélo ou à la remise en selle éligibles au Compte Personnel de Formation (CPF) : une bonne idée, car ces formations permettent également de s’informer sur l’évolution du code de la route, souvent brandi dans les échanges houleux entre les individus. Et pour cause, rien n’oblige à repasser son code de la route. L’idée de formations accessibles sur demande et non obligatoires est bonne.
- Obligation pour les voitures de franchir la ligne médiane à quatre roues pour doubler un cycliste : c’est une excellente idée, car nombreux sont les automobilistes qui pensent être en tort à rouler temporairement en sens inverse et qui frôlent sans raison les cyclistes et autres usagers des EDPM.
- Introduction d’une sonnette piétonne de courtoisie sur les voitures neuves (si Bruxelles le veut bien) : l’idée est amusante, mais il va falloir s’arrêter là. L’avertisseur sert à avertir. Les gens ne sont pas aussi fragiles. Sinon, autant troquer la sonnette pour un bruit de V12. Ce sera bien plus efficace.
- Rappeler l’obligation faite aux collectivités de mettre au point des itinéraires cyclables lors de l’élaboration des documents de planification : une belle contradiction dans la mesure où le Plan Vélo avait pour objectif d’aider les communes à faibles moyens à développer leur réseau. Plan dont le financement a été stoppé. De là à y voir une nouvelle taxe d’habitation renommée en taxe d’écologie et d’urbanisme, il n’y a qu’un pas dont le franchissement fera jaser. Mais d’un autre côté, les infrastructures sont la clé.
- Introduire une épreuve vélo dans le permis de conduire : l’idée est moins folle qu’elle n’y paraît. En effet, quoi de mieux pour comprendre les réactions d’une personne à vélo que d’être cette personne. Malheureusement, l’inverse n’est pas possible, car ce serait bénéfique que les cyclistes se mettent également à la place des automobilistes. Le principe même de formation continue est intéressant. Mais reste la question du coût.
- Verbaliser plus les cyclistes : la mesure est déjà en place. Mais les disparités sont énormes. Ainsi, un feu grillé à vélo n’engendre pas de retrait de point. Mais pour cela, il faudrait immatriculer les vélos et cela tuerait de facto son utilisation.
- Signalisation volontaire des cyclistes : les cyclistes qui le souhaitent pourraient se signaler sur Waze ou Maps. Une bonne idée qui permet d’anticiper les zones à fort flux de cyclistes, par exemple.
- Revoir la publicité des véhicules : l’idée est d’obliger les constructeurs à intégrer des cyclistes et des piétons dans leurs publicités pour sensibiliser visuellement les spectateurs aux autres usagers de la route. Compte tenu de l’effet du matraquage sur l’opinion publique, l’idée est bonne. Mais le risque d’un effet inverse avec un ras-le-bol généralisé est grand.
- Renommer le Code de la Route en Code de la Voie Publique : l’idée peut faire sourire, mais elle a deux intérêts. Le premier est de marquer les esprits en étant moins centré sur l'automobile. Le second est la sonorité plus juridique.
- Demander aux bus de filmer les infractions dans les couloirs de bus : mais oui ! Il faudrait aussi que les conducteurs puissent intervenir en cas de trafic de drogue et qu’ils soient équipés d’armes de poing. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas leur demander de réaliser de la prévention à voix haute durant le trajet. Plus sérieusement, les conducteurs de bus sont déjà suffisamment exposés et à chacun son métier. Libres à eux de s’engager dans les forces de l’ordre.
- Harmonisation des codes couleurs pour les pistes cyclables : ce serait même indispensable. Quoi de mieux qu’un code couleur uniformisé ?
- Création d’amendes minorées pour les cyclistes : cela risque de faire un sacré grand écart face aux 135 euros d’amende pour port d’écouteurs. Reste à voir comment ce sera appliqué. Car pour le moment, la répression des cyclistes semble plus être un coup de pub pour caresser l’automobiliste dans le sens de la démagogie (tout en l’assommant derrière).
- Mise en œuvre d’un plan d’accessibilité pour personnes handicapées : il suffit de prendre le métro pour se rendre compte qu’il y aura beaucoup à faire.
Et maintenant ?
Le gouvernement a promis d’étudier « attentivement » ce rapport et de lancer un travail interministériel (Transports, Intérieur, etc.) pour définir ce qui sera retenu… et surtout appliqué. Une promesse qui n’engage que ceux qui y croient ? Peut-être. Mais avec un contexte où la tension monte d’un cran chaque semaine sur les pistes et les boulevards, ces recommandations tombent à point nommé. D’autant que pour une fois, la mobilité est vue comme un ensemble et non à travers le seul prisme du vélo ou de l’automobile. Car taper outrageusement sur l’automobile ou le vélo pour lutter contre les incivilités n’a pas plus de sens que de taper sur les smartphones pour lutter contre les réseaux sociaux.
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