Peut-on prendre au sérieux Hennessey et son projet de GT électrique à six roues de 2 400 ch ?
Toute l'industrie automobile mondiale semble prendre actuellement un virage plus ou moins forcé vers l'électrique, même ceux dont le gagne-pain consiste à remettre une louche de chevaux à des engins purement thermique et loin d'en être dépourvus en premier lieu, comme Hennessey, le préparateur américain. Ce dernier est en effet en train d'élaborer le projet « Deep Space », un monstre électrique à six roues de 2 400 ch qu'il est bien difficile à prendre au sérieux.
L'évocation du nom d'Hennessey (avec un troisième « e » sinon c'est du cognac) provoque différentes réactions parmi les amateurs d'automobile. Pour certains, c'est une référence trentenaire dans le domaine de la préparation extrême qui a accouché au siècle dernier de monstres biturbo sur base notamment de Dodge Viper à la puissance dépassant allégrement la barre des quatre chiffres et qui continue de se faire connaître dans ce nouveau millénaire avec ses records d'accélération et de vitesse.
Hennessey s'est fait en premier connaître avec ses préparations sur base de Viper dont les plus puissantes atteignaient 1 200 ch.
Ainsi, la Venom GT, essentiellement une Lotus Exige dont on aurait allongé l'empattement pour pouvoir y coller un V8 7.0 biturbo de 1 261 ch, s'est attaquée au 0 à 300 km/h, l'expédiant en 2013 en seulement 13,63 s, un record validé officiellement par le Guiness (non, pas la bière noire et épaisse pouvant aussi servir de déjeuner). Elle est remplacée aujourd'hui par la rafraîchissante Venom F5 au châssis cette fois fait maison, au V8 6,6 biturbo offrant la bagatelle de 1 842 ch (et 1 617 Nm accessoirement) pour déplacer les seulement 1 338 kg de l'ensemble et dont les premières livraisons des 24 unités prévues viennent d'avoir lieu. Pas de médaille encore à accrocher à sa boutonnière mais quelques ambitions, comme celle d'être la première voiture de route à accrocher les 300 mph soit 485 km/h.
Les Venom et Venom F5, les premières tentatives d'Hennessey en tant que constructeur et non préparateur.
Pour d'autres par contre, l'odeur de soufre autour de HPE - pour les intimes et pour Hennessey Performance Engineering – ne vient pas que des véhicules aux puissances démoniaques qui sortent de ses ateliers. On dirait bien que, dans ce coin du Texas, on utilise l'inox autant pour produire des lignes d'échappement haute performance que des casseroles à traîner. Et là encore, cela ne date pas d'hier : année après année, de nombreux clients mécontents, souvent étrangers, ont fait entendre leur voix pour des raisons multiples : projets jamais terminés, voitures de certains désossées pour alimenter d'autres, pièces d'origine revendues à prix d'or une fois un simple autocollant HPE apposé, non-respect des devis, etc., la liste est longue et bien souvent validée par d'anciens employés.
Mais cela ne s'arrête pas puisque John Hennessey, fondateur et PDG de l'enseigne avec sa tête de texan bon teint avec raie sur le côté, jeans taille haute et New Balance aux pieds, a fondé en 2008 la « Tuner School » où, officiellement, de jeunes mécaniciens peuvent se former à l'art de la préparation mais où, officieusement, cela se limite à verser $15,000 sur quatre mois pour obtenir le droit de rajouter le célèbre nom sur son CV sans apprendre grand-chose au passage.
Enfin, même les records annoncés sont à prendre avec des pincettes. Celui du 0 à 300 km/h de la Venom GT en 2013 est tout ce qu'il y a de plus officiel, vérifié et respectable mais il n'en est pas de même pour celui de 2014 où Hennessey a présenté les 435,31 km/h atteints sur la piste d'atterrissage de navette spatiale (!) du Kennedy Space Center, en Floride, comme un record de vitesse, en en faisant même une série spéciale, même s'il ne satisfait pas deux critères exigés par le Guiness : que la production du véhicule compte au minimum 30 unités alors que la Venom GT s'est arrêtée à… 29 et que cette vitesse soit la moyenne de deux tentatives réalisées en sens opposés, ce qui n'a pas été le cas.
Peut-on prendre au sérieux Hennessey et son projet de GT électrique à six roues de 2 400 ch ?
Chat échaudé craint l'eau froide comme on dit et chaque nouvelle déclaration de Hennessey fait donc l'objet de plus d'analyses et de critiques que si elle venait d'une autre entreprise. Mais le projet « Deep Space » présenté la semaine dernière sur ses réseaux sociaux paraît fumeux quelle que soit son origine. Le préparateur texan se lance en effet pour la première fois dans l'électrique et, sans surprise, le message l'annonçant parle à foison d'exclusivités mondiales et de records. Ce sera en effet la toute première « Hyper-GT » à six roues au monde.
Le profil avec cette partie arrière étirée n'est pas sans rappeler la McLaren Speedtail.
Est-ce qu'on peut se vanter d'une telle innovation ? Autant que de vouloir lancer la mode du jogging avec deux chaussures gauches. Mais est-ce seulement vrai ? Absolument pas : elle est précédée par la Panther 6 britannique produite à deux exemplaires à la fin des années 1970 et motorisée par un V8 8.2 Cadillac de 600 ch, la Wolfrace Sonic, assemblée aussi outre-Manche par le fabricant de jantes du même nom - on comprend donc aisément l'intérêt commercialement parlant à vouloir populariser cette architecture -, qui connaît la même diffusion en 1981 et qui était propulsée par pas moins de deux V8 3.5 d'origine Rover et, au XXIe siècle, la Covini C6W italienne à V8 4,2 et feux avant en provenances respectives d'Audi et d'une Peugeot 206. Hennessey n'est donc même pas sur le podium. En regardant d'un peu plus près les deux dessins accompagnant le communiqué, on remarque cependant que la différence majeure avec les trois autres (ainsi que la célèbre Formule 1 Tyrrell P34) ou est que l'américaine se distingue en n'ayant que deux roues directrices, ce qui devrait garantir un sous-virage rien de moins que spectaculaire avec les quatre roues arrière qui poussent tout droit.
Les Panther 6, Wolfrace Sonic et Covini C6W n'ont pas vraiment marqué l'histoire automobile mais sont des curiosités fascinantes.
Attention, le communiqué fait état d'un premier record : ce sera « la voiture électrique la plus chère du monde » à sa sortie prévue en 2026 avec une facture s'élevant à 3 millions de dollars, soit l'équivalent de 2,6 millions d'euros. Weird flex but ok comme disent les jeunes, un peu comme si un primeur se vantait d'avoir les citrons les plus acides ou un vendeur de vêtement les chandails au col grattant le plus. Est-ce que cette nouvelle prétention est véridique cette fois ? Presque, puisque les cinq exemplaires assemblés à la main de la Pininfarina Battista Anniversario, série spéciale - pour fêter les 90 ans du célèbre studio de design - de la Battista, elle-même basée sur une plateforme technique de Rimac C_Two, sont proposés à un prix similaire.
La Pininfarina Battista Anniversario, l'autre voiture électrique à 2,6 millions d'euros.
Dans quels autres domaines la version commercialisée du projet Deep Space fera office de référence selon Hennessey ? Ce sera, juré-la-main-sur-le-cœur-ne-me-demandez-pas-de-cracher-à-cause-du-COVID, la voiture à quatre places qui accélérera le plus fort de 0 à 200 mph (330 km/h) et ce, grâce à l'augmentation de 50 % de la surface de contact des pneus par rapport à un véhicule à quatre roues traditionnel et en montant un moteur par roue. Donc six en tout et de 400 ch chacun pour un total de 2 400 ch, vous avez bien lu. D'accord, John, pourquoi pas. Mais John avait pris un solide petit-déjeuner ce jour-là et n'a pas encore terminé, il s'échauffait juste. Ce sera aussi la première voiture à avoir une configuration de sièges en forme de losange : le conducteur devant au centre, deux passagers derrière lui côte à côte et un troisième qualifié de VVIP pour Very Very Important Person (je n'invente rien) parce qu'il fermera la marche tout seul au milieu et surtout parce que son siège pourra s'incliner totalement jusqu'à la position couchée (je n'invente toujours rien). Autre chose, John ? Oui, pour ne pas faire de jaloux, il y aura un volume de chargement spécialement adapté pour pouvoir emporter quatre sacs de golf et ça non plus, personne ne l'a fait avant.
L'étrange disposition des sièges en losange à bord du Projet "Deep Space", le plus en arrière pouvant s'incliner totalement.
Bien sûr, on aura droit à des portes papillons (les plus grandes du monde, évidemment), un châssis et une carrosserie en fibre de carbone et des matériaux parmi les plus luxueux pour l'intérieur, on serait déçu à moins. Cerise sur le gâteau, il va sans dire que chaque modèle pourra être personnalisé par son propriétaire mais attention, pour garantir une certaine exclusivité, seuls 105 seront assemblés. Aucune autre information technique n'est délivrée dans le reste du communiqué mais John s'est montré un peu plus loquace quoique pas plus précis dans une interview publiée dans le magazine américain lifestyle Robb Report : le 0 à 100 km/h sera réalisé en moins de deux secondes et l'autonomie atteindra 1 000 km. Débrouillez-vous avec ça.
Tout ceci semble en tout cas très original à première vue et pourtant pas tant que ça puisque le descriptif de GT à portes s'ouvrant étrangement et dotée d'un moteur électrique par roue dont le nombre dépasse quatre a déjà été utilisé pour l'Eliica. Créés par une université japonaise en 2004 et totalisant 640 ch, deux modèles étaient prévus : avec une batterie de 33 kWh pour un 0 à 100 km/h en 4,1s et 370 km/h en pointe ou avec 50 kWh pour une autonomie de 320 km. L’objectif était d’en produire 200 exemplaires à environ 240 000 € pièce une fois le développement terminé et un financement trouvé mais le projet n'a jamais abouti. Ce qui sera sans doute un ultime point commun avec ce projet Deep Space.
Comme souvent, les japonais ont déjà eu l'idée avant.
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération