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Renault et Boeing, deux histoires de cost killing

Dans Economie / Politique / Industrie

Jean Savary

Renault, qui affiche son premier déficit depuis la crise de 2009, pourrait fermer une ou deux usines. Boeing, lui, est au plus mal avec son 737 Max désormais interdit de vol après deux crashs. Deux histoires qui n’ont rien à voir ?

Renault et Boeing, deux histoires de cost killing

Côté Boeing, deux crashs, 346 morts, une interdiction de vol, un arrêt de production et plusieurs centaines de 737 Max cloués au sol qui ne revoleront probablement jamais.

La réputation de l’entreprise est lourdement entachée mais le plus grave est encore à venir : l’enquête toujours en cours commence à révéler de graves collusions entre le constructeur et le régulateur américain de l’aviation civile, la FAA (Federal aviation administration).

Côté Renault pèse toujours – comme chez PSA - la menace de l’enquête judiciaire pour tromperie aggravée concernant la dépollution de ses diesels.

Plus une mise en demeure de Que Choisir d’opérer le rappel des moteurs essence 1,2 type H5FT qui équipent des Renault, Dacia, Nissan et Mercedes.

Les déboires de ce petit 4 cylindres qui aspire son huile arrivent après une litanie de diesels en bois tendre, du dTI des années 90 qui emmêlait ses courroies jusqu’à tout récemment le 1,6 dCi qui fissure son bloc cylindre.

À l’arrivée, une image en berne et des ventes en baisse, au point que le constructeur affiche son premier déficit depuis dix ans et envisage de fermer une ou des usines.

Ces deux entreprises ont un énorme point commun à l’origine de leurs déboires : des cost killers y ont pris le pouvoir et ont imposé leur culture.

L'usine Renault de Meubeuge.
L'usine Renault de Meubeuge.

Un anti-décrochage pour le 737 Max

Chez Boeing, pour contrer le succès de l’Airbus A 320 Neo, on a décidé de moderniser le 737. Pour ce faire, les ingénieurs ont décidé d’installer des moteurs plus gros et plus sobres, les mêmes que sur l’Airbus.

Hélas, l’avion est un peu court sur pattes pour d’aussi gros réacteurs. Lesquels risqueraient de frotter par terre à l’atterrissage, ce qui ferait mauvais genre.

Plutôt que de rehausser le train au prix de coûteuses modifications de la cellule, les ingénieurs américains décident de placer les turbines en position surélevée, ce qui oblige à les mettre très en avant de l’aile.

Plus de poids, plus en avant et plus haut, cette modification déséquilibre l’avion et perturbe l’aérodynamique de l’aile à basse vitesse.

Qu’importe, de même qu’avec l’ESP, on fait désormais tenir la route à n’importe quel char à banc turbocompressé, le 737 Max a droit lui aussi à son anti-dérapage. Un « anti-décrochage » en fait qui corrige la tendance au piqué de l’avion via des capteurs et un logiciel qui commande les gouvernes arrière, forçant l’avion à remonter. Lors des essais, le machin fonctionne assez bien, la FAA homologue le bricolage et le fer à repasser se vend comme des petits pains.

Jusqu’aux crashs du Lion Air 610 puis du vol Ethiopian 302.

On apprend alors que les capteurs sur le flanc du cockpit sont très exposés aux chocs contre oiseaux et qu’ils peuvent en prime fournir de mauvaises informations, poussant les pilotes à la faute et l’avion au tapis. Que la procédure de secours ne suffit pas toujours à rétablir l’assiette de vol. Et enfin, que beaucoup de pilotes n’y ont pas été formés par Boeing, toujours dans l’intention de limiter les coûts.

Au-delà du raté technique, l’enquête se penche désormais sur les collusions entre Boeing et la FAA qui aurait délégué une partie de la validation aux ingénieurs… de Boeing.

Renault et Boeing, deux histoires de cost killing

Petites et grandes misères du cost killing

Chez Renault, on ne plaisante pas avec la tenue de route ou la sécurité, mais il arrive trop souvent que le client appelle la dépanneuse.

Techniquement, je ne sais pas « comment » cassent des courroies, se fissurent des cylindres, passent des bielles au travers des carters ou avalent de l’huile les turbos.

Mais j’ai une idée assez précise du pourquoi du comment : de vilaines petites économies de conception, de mise au point, de test ou de fabrication. Et des fournisseurs un peu trop pressurés, ce sont eux qui le disent.

Renault et Boeing, deux histoires de cost killing

D’autres constructeurs pratiquent eux aussi le cost killing et le paient par de petites et grandes misères. Mais le Losange semble tenir les premiers rôles dans l’emmerdement à grande échelle.

Question de culture sans doute : quel autre constructeur a eu un tueur de coûts – ici Carlos Ghosn - à sa tête pendant près de vingt ans ?

Et puis il y a aussi la faute à un service après-vente, très cost killer lui aussi, dressé à refuser les prises en charge et à rejeter la faute sur l’acheteur.

PSA, qui a lui aussi produit quelques moteurs en sapin, montre plus d’empressement à apaiser l’ire du client. Qui par conséquent en parle un peu moins…

La dépollution de mai à octobre

Mais ce qui rapproche le plus Renault du cas Boeing, c’est la façon dont a été traité le système de dépollution des diesels. Réduire les NOx, le dernier toxique de ce moteur à résister aux ingénieurs, était un énorme enjeu, tant en matière de santé publique que de pérennité d’une motorisation vitale pour l’industrie automobile française.

Deux solutions se présentaient. L’une coûteuse, fiable et efficace – le SCR et son réservoir d’Adblue et l’autre économique, le LNT (Nox Trap) qui s’avérera être un nid à soucis. Renault (comme Opel, Fiat et quelques autres) a choisi le LNT.

Tout en sachant que ce dernier ne dépollue que de mai à octobre sauf canicule (de l’aveu de Renault, il ne fonctionne pas en dessous de 17 °C ni au-dessus de 35 °C), que les deux vannes EGR dont il dépend s’encrassent en circulation urbaine et que la post combustion sur laquelle repose le système ne se déclenche jamais en courts trajets, le tout occasionnant pannes et casses.

Comme Boeing, Renault a choisi la solution la moins chère et la moins satisfaisante au mépris de la sécurité pour l’un, de la santé publique et de la fiabilité pour l’autre. Comme Boeing, Renault a bénéficié de la complaisance des organismes de certification. En l’occurrence de l’UTAC qui n’était pas dupe de l’efficacité du Nox trap en dehors de ses laboratoires, aux instances européennes qui, depuis des lustres, savaient ses normes d’émission laxistes et aisément contournables.

Comme Boeing, Renault-Nissan a aligné de jolis bénéfices et a accru ses ventes, jusqu’à truster deux années la place de premier constructeur mondial.

Comme Boeing, Renault a abîmé son image et sa réputation puis perdu des clients.

Comme Boeing, Renault voit son cours en bourse dévisser et sa notation s’écrouler.

Et comme Boeing, Renault va présenter la note… à ses ouvriers et employés.

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